
VAL-D’ARAN

C’est parti pour cet article consacré à mon expérience sur le Val-d’Aran by UTMB. Petite mise en contexte d’abord. Elle se déroule dans la Vallée d’Aran, située dans les Pyrénées Espagnoles, à 50km à l’ouest d’Andorre. Ce trail est l’événement européen dit « Major » du circuit UTMB. Cela implique 2 fois plus de Running Stones collectées pour les finishers des formats 100M, 100K et 50K ainsi que la qualification directe pour le top 10 masculin et féminin de chacun de ces formats.
Le parcours initial, long de 163km (100miles), avec 10 000m de dénivelé positif et des passages à plus de 2500m d’altitude, part de Vielha pour réaliser une boucle dans le sens horaire en passant par Bossòst, longeant la frontière entre France et Espagne, puis Salardú, Arties pour revenir à Vielha. De par les risques d’orages annoncés la veille du départ, ce sera un parcours alternatif, plus court et moins haut, qui nous est proposé (ou du moins imposé). Nous ferons une sorte d’aller/retour en restant plus bas dans la vallée, sans dépasser les 1700m d’altitude. On partira toujours de Vielha, pour nous rendre à Bossòst puis Canejan, on repassera ensuite à proximité de Vielha, on continue jusqu’à Salardù et on revient à Vielha après une dernière boucle passant par Arties. Ce nouveau parcours totalise 143km et 7400D+, qui s’avèreront finalement bien suffisants pour moi.

Préparation
Honnêtement, cette partie sera assez courte. Aussi courte que l’a été la préparation. J’ai rencontré durant cette période deux obstacles : le manque de temps et le manque de motivation.

J’aborde cet ultra donc, moins dans un esprit de compétition pur et dur comme les autres, que dans la recherche d’une nouvelle expérience sur de la longue distance, nécessitant de passer une nuit complète à courir dehors. Sur le papier, j’ai passé bien moins de temps à regarder et étudier le parcours que ce que je ne l’ai fait pour mes autres courses. J’y vais dans une envie de découverte de nouvelles montagnes dans un premier temps, et de mes capacités dans un deuxième. Aucune stratégie de course n’est mise en place, je vais courir à l’instinct, avec comme mantra : « quand tout va bien, tu avances bien, quand ça ne va pas, tu avances moins bien ». J’ai envie d’écouter mon corps, de voir ce dont il a besoin à différents moments de la course et de continuer d’avancer avec mes capacités du moment.
Je disais donc, le manque de temps. En effet, mon dernier ultra, la Maxi-Race, s’est déroulé moins de 5 semaines auparavant. Je devais initialement courir le format en 2 jours, ce qui m’aurait permis de simplement l’intégrer à ma préparation en tant que « week-end choc ». Cependant, comme expliqué dans le résumé à retrouver ici, j’ai eu la chance de réaliser le parcours complet, et je l’ai saisie. Seulement 5 semaines pour récupérer, se préparer et se reposer avant ce nouveau départ. C’est court. Très très court.
Deuxièmement, le manque de motivation. Une situation, un état d’esprit difficile à expliquer. Cela m’était déjà arrivé l’été dernier, après mon enchaînement Tackle the Toad/Raven 50 en 8 jours qui s’était extrêmement bien passé. L’euphorie de ce moment, et celle-ci qui retombe une fois ces événements passés, font qu’il faut pouvoir retrouver très vite une autre « raison » de retourner à l’entraînement. J’ai donc décidé de (presque) complètement couper la course après la Maxi-Race pendant 2 semaines, afin de reconstruire et de retrouver cette envie d’avaler les kilomètres en montagne. Seule exception : le Trail de la Grande Montagne, organisé par Mathieu Augier et membre du team Dynafit. Nous étions rentrés en contact après mon Yukon Arctic Ultra et il m’a très gentiment invité à participer à son événement. 8 jours après la Maxi-Race, c’est sur le format 26km/1150D+ que j’ai choisi de m’aligner. Un parcours joueur, puncheur et avec pas mal de relance. Bien que mes qualités de vitesse et d’explosivité soient restreintes, je prends tout de même une belle 5ème place sur 170 au départ.


Donc après ces 2 semaines de coupure, je reprends le chemin de l’entraînement pour 2 petites semaines. Les allers-retours au travail à vélo m’aident également pas mal pour augmenter un peu le volume hebdomadaire. Une première semaine avec 43km et 2150D+ de course à pied, 148km et 1350D+ à vélo, ponctuée par un nouveau dossard au Trail du Salève, à 5min de la maison. 38km et 1500D+ effectués en 3H50’, avec pour objectif de retrouver l’envie et le plaisir de courir, ce qui est chose faite. Je franchis la ligne d’arrivée en 11ème après une jolie remontada. Une seconde semaine plus petite puisque je commence la période d’affûtage, avec 59km et 3000D+ de course à pied ainsi que 120km et 1100D+ en vélo.

Le début de cette semaine de course est bien sûr consacré à la préparation matérielle, nutritionnelle et logistique. Je travaille jusqu’au mercredi, et c’est donc ce soir-là que nous prenons la route avec ma chérie, qui me fera l’assistance. On dort sur la route et on arrive le lendemain après-midi à Bagnères-de-Luchon où nous avons un Airbnb pour la nuit. On y pose nos affaires puis direction Vielha pour récupérer le précieux dossard. Je n’en ai pas encore parlé, mais une dizaine de jours plus tôt, j’ai débuté une collaboration avec Cimalp, en tant qu’ambassadeur. C’est une marque française fondée en 1964, qui équipe les passionnés de montagne avec des produits techniques et écoresponsables. Des valeurs humaines avec un vrai engagement, et qui soutient des athlètes inspirants dont je suis fier de faire désormais partie. C’est donc naturellement que je me rends à leur stand afin de discuter avec eux. Je profite de l’ambiance sur le village avec les différents stands, la retransmission en direct des courses ainsi que les arrivées du 50km.



De retour à notre appartement, je reçois l’annonce de l’organisation nous indiquant un changement de parcours dû aux risques d’orages pour le lendemain. Le parcours est raccourci et ne nous fait plus monter au-dessus de 1700m d’altitude. Nous courons alors 143km et 7200D+. Pas le temps de stresser ni de râler, c’est comme ça et l’on n’y peut rien, au moins, on court et c’est le principal. Ce sont donc les derniers préparatifs, un dernier bon repas et une bonne nuit de sommeil avant MON départ de demain.
La course
Je suis dans le sas A, le sas juste derrière les élites. Je sais qu’Arthur (Joyeux-Bouillon), que j’avais rencontré lors de la reconnaissance de la Maxi-Race est présent, je scrute alors son arrivée afin de lui dire bonjour et lui souhaiter bonne course. Je pense que cela aura son petit effet puisqu’il finira en 1ère position !!! Plus que quelques minutes, la musique Across the Mountains de Vangelis retentit, puis c’est le départ.

Vielha (0km) – Bossòst (61km)

On s’élance dans les rues de la ville. Le profil est un plat montant qui permet d’étirer rapidement le peloton. Tant mieux car on se retrouve assez vite sur les sentiers, et ça monte très fort, très vite. Je discute avec un canadien, que j’ai repéré grâce à son drapeau affiché sur son sac, du nom de Julien. On papote quelques instants puis je pars un peu devant. J’essaie de me caler sur un rythme plutôt stable, bien que beaucoup de changement dans le classement ait encore lieu, entre ceux qui rattrapent leur retard du départ et ceux partis trop vite.
Quelques kilomètres avant le sommet de la première bosse, énorme averse. De quoi être trempé de la tête aux pieds pour le reste de la course, malgré ma veste de pluie. Cela annonce la couleur pour la suite, ça peut arriver de nouveau à tout moment. Je me sens bien, je passe 47ème au sommet, puis 53ème au ravitaillement d’Es Bordes 800m de dénivelé plus bas. Je connais mes forces, je suis un grimpeur. La course est longue et je prends mon temps dans les descentes car je sais que ce ne sont pas dans ces dernières que je ferai la différence, je préfère donc m’y économiser.



À partir de là, je me sens vraiment bien, je commence donc à dérouler les kilomètres. Je rappelle la marche à suivre : quand ça va bien, j’avance bien, quand ça va moins bien, j’avance moins vite. Je profite alors de cet élan positif pour me faire plaisir, et je rattrape quelques places. Une montée de 400D+ pour traverser jusqu’à Vilamòs, au 22ème km. On traverse des petits villages de temps à autres, très jolis.
Nous sommes assez dispersés, je vois quelques coureurs devant et derrière moi de temps en temps, mais personne avec qui courir. Une descente assez raide par endroit de 800D- nous mène vers Bossòst, ravitaillement n°4, et également 1ère base-vie, mais à laquelle nous n’aurons accès qu’au 60ème km, dans 29km donc. J’y arrive 41ème, et j’y reste juste le temps de me ravitailler en eau pour repartir au plus vite. À la sortie, ma chérie est là pour m’encourager, je la reverrai à mon retour ici dans quelques heures.

Un peu de route pour traverser la ville puis on repart dans la forêt. Une montée/descente d’environ 300m en longeant l’Arriu Garona, la rivière qui s’écoule en fond de vallée. Cette portion n’est pas très raide, mais assez glissante sur les nombreux cailloux à cause de la pluie qui s’est abattue plus tôt. On retrouve ensuite le bord de la rivière, que l’on va véritablement longer pendant plus de 2km, qui sont donc tout plats, ou presque. Je fais alors l’effort de rattraper un anglais devant moi, pour me mettre dans sa foulée. Nous sommes aux alentours de 5’15 /km. Des enfants à vélo nous suivent, et j’engage la conversation avec l’un d’eux avec mes piètres restes d’espagnol du lycée. C’est suffisant pour comprendre qu’il s’appelle Guilhem, donc quasiment comme moi si l’on traduit. Il nous suivra avec ses amis pendant presque 3km ; finalement, c’était un chouette moment à partager.
De nouveau sur une piste, le plat est toujours d’actualité, toujours accompagné de mon ami anglais, mais avec qui nous n’avons pas vraiment discuté. La montée commence finalement juste 2 petits kilomètres avant le prochain point de ravitaillement.

300D+ pour atteindre Canejan, durant lesquels je double encore 2 coureurs. J’arrive dans une petite salle des fêtes avec plein de gentils bénévoles, je suis 38ème. Je ne m’attarde pas beaucoup, je sais que je prendrai un peu plus le temps de me poser à la base-vie de Bossòst et la nuit arrive à grands pas.
Je suis accompagné d’un autre français en repartant dans la montée ; on discute un peu puis je pars devant. Une petite redescente pour traverser un cours d’eau et on enchaîne avec 650D+. Une première partie sur un chemin assez raide et j’accuse le coup. Un premier « down » me ralentit et je commence à me faire reprendre. C’est un moment charnière car la nuit tombe à ce moment-là. Je me rends compte en prenant ma frontale que celle-ci était allumée dans mon sac et est donc déjà à moitié déchargée. Erreur de débutant. Heureusement les chemins sont peu, voire pas techniques, et je peux me contenter de l’allumer seulement à une moyenne intensité. Je trouve d’ailleurs cela plus confortable de ne pas avoir trop de puissance ; de toutes façons, cela permet de garder l’esprit ouvert à ce qui nous entoure, et de ne pas être complètement absorbé par la grosse lumière devant nous. Sur la deuxième partie, on remonte une large piste, pas très pentue mais où il m’est impossible de courir à ce moment-là. Je continue donc de me faire rattraper. Tant pis, ce n’est qu’un mauvais moment à passer comme tout le monde en a, l’énergie reviendra.
Je n’en ai pas tellement parlé jusqu’à présent, mais je m’impose toujours de manger toutes les 20’, un gel, une barre, une compote ou une pâte de fruit pour rester à une consommation d’environ 60g de glucides par heure. J’aime beaucoup les produits que j’utilise donc cela aide également à leur consommation.
J’attaque enfin la descente vers Les, avant d’atteindre Bossòst, et, sans le savoir, je n’étais pas au bout de mes peines. On rattrape une route, où je me dis que l’on va retrouver un chemin qui descendrait tout droit. PAS DU TOUT. On suit cette route, qui est assez raide pour une route, pendant plus de 5km. Je n’avais pas du tout remarqué ou fait attention à ce détail du parcours. Plus j’avance, et plus mes muscles releveurs, ceux sur les tibias, me font souffrir. Je n’en vois clairement pas le bout, c’est un réel supplice. Je serre les dents, il n’y a que ça à faire… On finit tout de même par récupérer un chemin dans la forêt. Il ne reste qu’un kilomètre avant le ravitaillement, mais inconsciemment, je sens que le mal est fait, je paierai quoiqu’il arrive cette descente plus tard.

En arrivant dans la ville, éclairée, je peux éteindre ma frontale et au détour d’une rue, quelques personnes sont encore là pour nous encourager bien qu’il soit 23H passé. C’est là que j’aperçois un enfant, maillot de foot sur les épaules avec un nom floqué dans le dos : « Guilhem ». Il se retourne et bien sûr, c’est le même garçon que j’avais rencontré quelques heures auparavant. Je l’interpelle, il me reconnaît également et bien qu’il nous soit difficile de communiquer vraiment, il court de nouveau quelques instants avec moi. Ce moment, bien qu’il ne paraisse de rien, a été le moment de la course bien plus pourvu de sens et d’émotion que tous les mots que nous aurions pu échanger. Cet arrêt à Les est particulièrement bref puisque la base-vie ne se trouve plus qu’à 3,5km d’ici, et ces derniers sont particulièrement plats. J’y arrive une vingtaine de minute plus tard.
Bossòst, la première des 3 bases-vie de cette course, au kilomètre 61. J’y arrive 47ème après 7H40’ de course pour y retrouver mon assistance et c’est la routine. Je mange, je bois, je change de T-shirt pour être au sec pour la nuit ainsi que de chaussettes. L’ongle de mon gros orteil est décollé mais est toujours accroché dans un coin. Je me fais donc comprendre auprès d’une équipe médicale que je n’ai pas besoin de soin mais que je voudrais seulement avoir un bout de sparadrap afin de le faire tenir en place. Je refais le plein de mon sac et je repars dans la nuit.
Bossòst (61km) – Salardù (100km)
Pas mal de plat en repartant, ce n’est pas mon point fort mais je me sens bien et je trouve mon rythme. Je croise quelques coureurs de temps en temps. Il fait nuit noire, l’obscurité est totale. On quitte la route sur laquelle on était et on attaque une montée de 500D+. Je suis toujours en gestion. Comme je ne m’étais pas fait de temps de passage précis, j’étais complètement détaché de l’aspect performance à ce moment-là, j’écoutais mes sensations, c’était top. Je passe le village d’Arres de Los puis j’arrive à San Père i San Pau d’Arres où se trouve le ravitaillement suivant. J’y passe peu de temps, je ne veux pas perdre le rythme et la bonne dynamique dans laquelle je me trouve.

En repartant, même dans la nuit je reconnais le chemin sur lequel je suis car on l’a déjà emprunté plus tôt dans la course. On le quitte 1km plus tard et on continue de monter. On reste un bon moment sur une piste 4×4, c’est donc peu technique. Pas grand-chose à dire de cette partie-là, on monte pour redescendre sans quitter cette piste jusqu’à revenir à Vilamòs une 2ème fois. L’avantage de passer 2 fois au même ravitaillement, c’est que l’on sait déjà où aller pour prendre ce dont on a besoin.
Les kilomètres suivants sont en descente, sur un petit chemin peu technique, mais qui mérite d’être concentré de par l’obscurité. J’ai dépassé la moitié de la course, et à cet instant, je me rends compte que je suis vraiment bien. Je m’impressionne moi-même d’être aussi frais après 80km. Je suis dans le « flow » !!! Cela s’arrêtera malheureusement bien vite, lorsque que l’on rattrape une route. (Trop) focalisé sur mon effort et le faisceau de ma frontale, je rate le moment où l’on devait la quitter pour reprendre un chemin. Je m’en rends compte après 300m environ, lorsque je ne trouve plus de fanion indiquant le chemin. Je tente de vérifier cela sur l’application de mon téléphone qui contient la trace, mais impossible d’y accéder car l’écran est mouillé d’un mélange de transpiration et d’eau, car au même moment, la pluie s’invite. Je tente de ne pas paniquer et je fais demi-tour jusqu’à retrouver une indication sur le chemin à suivre. Je trouve alors le chemin que j’ai loupé une petite dizaine de minutes auparavant, et je me remets dans la course. Quelques coureurs m’ont doublé, je tente de combler mon retard sur eux dans de la petite montée qui se dresse devant nous, sans grand succès.
Les 4 kilomètres suivants sont une alternance de petites montées et descentes, du « radada », sur des chemins et quelques portions de route. On est en fond de vallée, on se contente de remonter plus ou moins les bords de la rivière jusqu’à Vilac, lieu du ravitaillement n°10. Je n’y reste pas longtemps, et je repars avec un autre coureur, un tchèque.
En repartant, on traverse un pont et une intersection nous force à chercher notre chemin dans cette nuit toujours extrêmement sombre. Les indications n’étaient pas vraiment claires. Heureusement mon nouvel ami tchèque avait toute la trace dans sa montre, ce qui nous sauve un peu la mise. On part pour 400D+ et je démarre un peu devant. Peu après, encore une fois absorbé par ma frontale, je rate un changement de direction (encore). Je dois vraiment lever la tête plus souvent et arrêter d’imaginer que c’est toujours tout droit. Derrière moi, plusieurs coureurs m’ont suivi jusqu’à ce que l’un d’eux se rende enfin compte de notre erreur de parcours. Chacun appelle le coureur devant lui jusqu’à moi. De nouveau je rebrousse chemin et je me retrouve à l’arrière de ce petit groupe d’environ 6-7 coureurs. Cette fois, ma bonne forme s’envole en même temps qu’un bout de mon mental. Le groupe me lâche rapidement et je suis de nouveau seul.
La fin de la montée me paraît bien longue. Le haut de la bosse n’est pas franc, d’abord un faux-plat montant, puis une portion plate en balcon duquel on aperçoit les lumières de la ville de Vielha en contrebas. La descente vers Casarilh est abrupte. Les jambes commencent à être fatiguées, mais surtout, mes muscles releveurs me font mal. La forte pente ne facilite pas la chose et je suis incapable de courir. Je me fais dépasser à plusieurs reprises, je suis dans le dur pour la première fois de cette course. L’arrivée sur le plat est un vrai soulagement. Je reprends une petite foulée qui me permet d’atteindre le ravitaillement. Je suis 53ème après 91km et presque 5000D+de parcouru.

Plus de 3km encore en fond de vallée pour remonter la rivière. Le plat laisse mes releveurs tranquilles, mais je préfère la montée. Au niveau d’Arties, mon vœu est exhaussé, ça monte. Je me fais néanmoins rattraper par un coureur, un français, et on discute un peu. Ça fait du bien de finalement partager quelques kilomètres. La descente suivante est douce mais j’ai toujours mal et je dis à mon compagnon du moment de partir sans moi. Il me motive quand même à le suivre, et je fais donc l’effort pour me mettre dans sa foulée, ce qui n’est pas plus mal. Le jour se lève, et nous sommes rejoints par 3 autres français. C’est en véritable délégation française que nous atteignons ensemble la base-vie de Salardù, la 2ème de cette course. Être dans ce petit groupe m’a fait du bien au moral, je suis de nouveau ultra-motivé. Même schéma ensuite : je mange, je bois, je me change et je refais le plein de mon gilet.

Salardù (100km) – Arties (130km)

Je repars seul de Salardù. Je suis en forme, pas de fatigue ressentie en ce début de matinée mais des jambes douloureuses. Je ne sais pas trop ce qui m’attend pour la suite, je me laisse guider par le chemin que je découvre au fur et à mesure. C’est plutôt vallonné au début, puis on monte pour suivre un cours d’eau. Le chemin est propre, mais technique de temps à autre. Je sens par moment que je manque d’énergie, ou plutôt de force. Mon corps n’avance plus à la même allure qu’en début de course, j’essaie de « limiter la casse » au mieux. Même les paysages et les belles ambiances du matin ont du mal à me faire lever les yeux, je reste focalisé sur mon état général, et notamment mes douleurs aux releveurs, qui ne font que s’accroître. J’arrive au prochain ravitaillement de Banhs de Tredòs. Bizarrement, bien que je me sois fait doubler par 2 ou 3 coureurs depuis Salardù, je ne perds pas de place au classement, je suis toujours 55ème.

Il y a seulement 6,5km jusqu’au prochain ravitaillement, et je les qualifierais des plus beaux de la course. Bien sûr j’en ai parcouru beaucoup de nuit ce qui m’a sûrement empêché de profiter d’autres jolis paysages, mais ceux-ci étaient incroyables. J’avais mal aux jambes, mais le cœur était rempli. Une nature vraiment sauvage, des hauts sommets autour de moi, un passage sur un col, un lac de montagne. On arrive presque au point le plus haut en altitude de la course, et je regrette vraiment de ne pas avoir pu faire l’intégralité du parcours original. Celui-ci nous aurait comblés du début à la fin. Ces paysages me redonnent une certaine énergie et je reprends du plaisir. Je rattrape même quelques coureurs pour rejoindre Colomèrs en 51ème position, accompagné de la coureuse roumaine Cindea Anca, qui finira 3ème féminine à l’arrivée.



La montée est faite, il faut maintenant redescendre. Mes douleurs aux releveurs me rattrapent et surtout me rappellent à l’ordre : « on est fatigué, pas trop vite ». La descente n’est pas très raide, il serait possible de laisser aller les jambes pour dérouler une belle foulée. Pas à ce moment-là, pas dans cet état-là. Je me contente de petites foulées rapides pour amoindrir au maximum les chocs sur mes tibias. Après la piste 4×4 on dévale un superbe chemin en balcon avec vue sur la Vallée de Valartie. Un passage dans un tunnel directement creusé dans la roche nous rappelle les anciennes mines de la région. Ravitaillement de Mont-Romies au 125ème kilomètres. Le ciel se noircit, il commence à pleuvoir et je mets ma veste en prévision d’un possible déluge. Je m’arrête très peu ici car j’ai envie d’atteindre la dernière base-vie à seulement 4,5km d’ici.

À peine le temps de repartir que la pluie battante s’installe. Quelques petites minutes suffisent à me tremper de la tête aux pieds et surtout à rendre la descente extrêmement glissante. Elle est en dévers par endroit, sur une terre plutôt meuble et je peux apercevoir très clairement les traces des glissades des coureurs passés ici il y a peu. Pour vous dire, j’en ai même ressorti les bâtons du carquois pour m’aider à descendre et rester tant bien que mal sur mes deux pieds. Je descends aussi bien que je peux en essayant de trouver les meilleures trajectoires et les meilleures prises possibles. Malgré tous mes efforts, ce qui devait arriver arriva : mes talons perdent l’adhérence et je glisse en arrière. La chute est inévitable, je me sens partir et durant cette seconde de lévitation en attendant l’impact, mon unique pensée est de protéger absolument mes bâtons ; tant pis, je ne m’en sers pas pour tenter de me rattraper avec, au risque de les casser, je choisis plutôt de m’étaler au sol. Une demi-seconde plus tard, j’en suis donc là. À terre, dans la boue, sonné de ma chute. Le matériel obligatoire dans mon sac a quelque peu amorti mon atterrissage, j’en suis bien content. Je reste au sol 1 ou 2 secondes le temps de retrouver mes esprits puis je me relève et je repars en m’assurant que je n’ai rien de cassé. Je redouble de prudence pour le reste de la descente, il ne s’agirait pas de chuter tous les 3 mètres non plus.

On retrouve finalement la rivière du fond de vallée, la Arriu Garona, pour la longer sur 2 petits kilomètres jusqu’à Arties, la dernière base-vie. J’y arrive aux portes du top 50 et je retrouve mon assistante. Je suis trempé, fatigué, mais heureusement il ne fait pas froid et il semblerait que la pluie soit en train de cesser. Il ne reste plus beaucoup, une dernière bosse à gravir puis à redescendre sur 12km. Je tente de ne pas trop tarder et je repars pour un dernier effort… et quel effort !

Arties (130km) – Vielha (142km)
Le terrain permet de se remettre en jambe tranquillement avec 2 bons kilomètres de plat descendant. Vient ensuite la montée, qui s’accentue progressivement. Celle-ci s’avère vraiment raide dans sa deuxième partie. Je souffre et mes muscles sont vides. J’ai de l’énergie, mais mes jambes ne répondent plus. Elles sont en mode « automatique » et ne fonctionnent qu’au ralenti. Je fais avec, je patiente simplement en attendant d’arriver en haut, sans pouvoir mettre de rythme, c’est assez frustrant. Je me fais doubler par 5 ou 6 coureurs, qui m’ont l’air TRÈS frais. J’avais un rythme d’environ 550/600m par heure quand eux me doublaient à 900/1000m par heure environ. J’ai trouvé ça complètement fou. Bref, la fin de la montée se radoucit jusqu’à traverser un ruisseau pour revenir sur nos pas de l’autre côté jusqu’au dernier ravitaillement de la course.
Une descente, la toute dernière. 700D- à faire alors que mes releveurs sont en bouillie, c’est un supplice. Encore une fois, c’est une large piste qui permettrait de se faire plaisir en laissant aller les jambes. II n’en est rien de mon côté, uniquement concentré à réguler au mieux ma douleur. Je me fais de nouveau doubler par un groupe de 4 coureurs, lancés à fond et je suis triste, presque dégoûté de ne pas pouvoir me battre pour garder ma place. Tant pis, c’est le jeu. On quitte cette piste après quelques épingles pour un dernier sentier de randonnée, plus raide que la piste. J’ai vraiment énormément mal, je serre les dents plus que jamais. En guise de surprise du chef, on a droit à une dernière remontée de 100D+. Rien de très méchant dit comme ça, mais après 139km, 7300D+, 22H de course et sans s’y attendre, ça pique. Je ne m’en plains pas plus que ça, puisque ça donne un brin de répit à mes releveurs.
La fin de la descente se passe, puis apparaît enfin le bitume. 1km tout juste avant l’arche d’arrivée. Je tente de remettre un peu de rythme dans les jambes, très vite limité, non pas musculairement, mais bel et bien par ces foutus releveurs qui m’auront bien gâché la vie depuis plus de 50km. C’est à ce moment-là, dans ce tout dernier kilomètre que je me ferai doubler une ultime fois, par Julien. Oui, oui, le canadien avec qui j’avais discuté au 3ème kilomètre. Il n’a jamais été très loin dernière finalement. Je savoure tout de même ces dernières centaines de mètres, je salue les personnes présentes dans les rues qui nous applaudissent et nous félicitent.

J’aperçois finalement l’arche d’arrivée. Celle de laquelle nous nous sommes élancés la veille, presque à la même heure puisque je passe la ligne après 22H32’ de course en 58ème position. Je suis soulagé, heureux. La souffrance prend fin ici et maintenant. Ma roue « célébrative » ne ressemble pas vraiment à ce qu’elle devrait être mais qu’importe, on retiendra l’intention. Je sonne la belle cloche réservée aux finishers, je récupère ma médaille puis je m’empresse de retrouver Julien pour le féliciter et échanger avec lui sur le parcours. C’était vraiment un chouette moment de partage, comme je les aime.



Analyse
À l’image de la préparation, cette partie sera courte également. Pas qu’il n’y ait pas grand-chose à dire, mais comme je le disais en début d’article, j’ai couru avec pour objectif de prendre de l’expérience sur un format 100miles, et c’est chose faite. Le boulot est fait, là est le principal.
Comme dans chaque course, et encore plus en ultra, il y a eu des hauts et des bas. Une stratégie nutritionnelle plus que réussie (dont j’espère pouvoir vous parler bientôt), des sensations hyper bonnes sur une première grosse moitié de course, du plaisir à courir aux sensations et pas seulement en regardant la montre, une bonne gestion des ravitaillements et des bases-vie. Mais aussi une grosse faiblesse au niveau des releveurs et sûrement un manque de volume que j’ai payé dans la dernière bosse. Tout cela pour apprendre, garder le bon et pouvoir perfectionner le moins bon. Un jour j’aimerais revenir dans ces montagnes, qui ont tant à offrir, en espérant pouvoir profiter du parcours intégral.
Conclusion,
remerciements
Une belle course, qui mériterait, selon moi (et selon bien d’autres au vu des commentaires sur les réseaux sociaux), une autre date dans le calendrier, car au cours des 3 années précédentes, il n’a pas été possible de réaliser le vrai parcours pour cause d’orages avec soit un parcours de repli ou l’annulation complète de la course. Un grand merci néanmoins à toute l’organisation ainsi qu’à tous les bénévoles, les conditions météo n’ont pas été faciles pour eux non plus.
Merci à Cimalp de me soutenir à présent via une dotation vestimentaire et matériel ; c’est un réel plaisir de porter vos couleurs avec des produits de qualités.
Merci ma chérie pour l’assistance au top une nouvelle fois.
Merci à vous tous, ma famille et mes amis pour vos messages avant, pendant et après la course, ce soutien est une force indescriptible !!!
Crédit photo: Joris Vigo, Sportograf
« Baisser les bras dans une compétition sous prétexte qu’on ne peut terminer premier est incompatible avec l’esprit du sport »
Éric Tabarly