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Résumé Yukon Arctic Ultra 2025 Partie 1

 

*L’écoute des audios n’est pas indispensable à la compréhension de l’article, ce sont des bonus.

     Mais par où commencer ?! Par le début enfin… Ok.
     Mais avant de rentrer dans le cœur de la course, quelques mots rapides sur les jours précédant le départ, en guise d’introduction.

     Cette semaine d’avant course est toujours particulière. Physiquement, il est évidemment trop tard pour s’entraîner, même si quelques séances à faible intensité ne font pas de mal. C’est d’ailleurs lors de l’une d’elles, que j’invite et rencontre Mathieu Blanchard, ultra-traileur professionnel, venu se frotter au climat extrême yukonais. Nous discutons entraînement, matériel, gestion du froid… Des sujets hyper intéressants, et avoir l’avis de Mathieu là-dessus s’avère passionnant pour l’amateur que je suis.

     Côté matériel, je finalise ma pulka, je remplis mes sacs avec mon équipement et je stocke tout dans un coin avec mes « drop-bags » déjà préparés. Malgré toutes les pensées tournées vers l’événement, il s’agit néanmoins de se reposer pour emmagasiner le maximum de sommeil. Je me force à dormir tôt, vers 22H et surtout je ne mets aucun réveil le matin.

     À partir du 28 janvier, pour des raisons pratiques, je suis hébergé chez Didier, un très bon ami, qui habite en ville. Durant ces jours précédant le départ, je reçois la visite du Dr. Mathias Steinach et de son assistante Marlène, venus d’Allemagne et présents ici afin de mener une étude sur les changements physiologiques lors d’un effort comme celui-ci. Ils réalisent alors des prélèvements et des relevés en tout genre. Prise de sang, de cheveux, de salive et de selle, mesure des antioxydants, de la vitamine C, de l’oxygénation du sang, électrocardiogramme, raideur musculaire et étude du sommeil, tout y passe. Ces relevés seront également effectués lors de mes deux passages au checkpoint de Ross River ainsi qu’à l’arrivée.

     Le 31 janvier, nous commençons à avoir les formalités administratives. Cela commence avec la vérification des papiers comme l’assurance rapatriement puis la remise du précieux dossard. Ce sera le numéro 626 pour moi. Suite à cela, une petite cérémonie est célébrée. Le lendemain matin, nous commençons avec un briefing concernant les conditions de la trail ainsi que météo, les règles générales et l’utilisation du tracker « SPOT » et ses différents boutons. Nous enchainons ensuite avec le contrôle du matériel de survie : matelas gonflable, sac de couchage, doudoune et mise en œuvre du réchaud à essence. Nous finissons en fin d’après-midi avec un banquet, durant lequel les différentes équipes sont présentées dont les ouvreurs de la piste, les secours, les photographes et les bénévoles. De retour à la maison, les dernières affaires sont glissées dans la pulka et c’est parti pour une dernière bonne nuit de sommeil.

     2 Février, GRAND jour, celui du départ. Après un copieux petit-déjeuner, œufs, bacon, saucisses, tartines, tout y passe, je prends la route avec Didier et Tommy (son fils) en direction de Teslin. C’est une petite communauté de 250 habitants sur la rive nord de la « Teslin River ». En arrivant sur place, les mushers de la Yukon Quest sont en train d’atteler leurs chiens et se préparent à partir. De mon côté, je profite du restaurant proche du départ, qui nous ouvre gentiment ses portes, afin de pouvoir attendre au chaud. J’y retrouve Mathieu et Loury Lag, ainsi que les autres participants, mais aussi le Dr. Mathias Steinach et son assistante Marlène. Il y a du bruit, tout le monde est joyeux et impatient de prendre le départ.

Audio 1 : Teslin/Yukon Quest

     Vers 14H45, on nous appelle, et on nous invite à venir prendre place sur la ligne de départ. En route, nos trackers sont vérifiés qu’ils sont allumés et fonctionnent correctement. La température avoisine les -30°, et après les dernières consignes données par Robert, l’organisateur, et une photo de groupe, le compte à rebours se fait entendre. 10, 9, …, 2, 1… C’EST PARTI !!!

Audio 2 : Arche de départ/Loury Lag/Mathieu Blanchard

Audio 3 : compte à rebours/premiers mètres

     Les 40 premiers kilomètres s’effectuent sur la « Teslin River », ils sont donc particulièrement plats. La petite foule rassemblée au départ nous acclame, le ciel est bleu avec un grand soleil et la joie se lit (encore) sur les visages. Je suis à l’avant de la course, et je repère grâce aux dossards installés sur les pulka quelques coureurs expérimentés sur ce type de course comme Daniel Benhammou, Laura Trentani ou encore Matt Weighman, vainqueur il y a 2ans.

Audio 4 : 1er kilomètre

Durant 1 ou 2km, le rythme est quelque peu étrange. Nous sommes en plus ou moins marche rapide, et c’est comme si personne n’osait se mettre à courir pour prendre les devants. C’est alors que Mathieu me passe sur la droite en trottinant et en glissant : « bon, là il faut que je me réchauffe! ». Il prend la tête, et chacun le suit, plus ou moins vite. Jessie Gladish, Joaquin Candel et Harm Feringa qui sont en « Fat bike » (vélo avec de gros pneus cloutés), peuvent profiter de ce profil plat pour aller bien plus vite encore. Sur les premiers kilomètres, je croise plusieurs fois Didier qui nous suit en motoneige, accompagné de Colin Olivero et Mathis Decroux, ici pour réaliser un film sur la course de Mathieu. Je prends du plaisir à être ici, dans ces super conditions. Les 20 premiers kilomètres se passent sans embûche.

Audio 5/6 : 10ème et 25ème kilomètre/ressenti du début de course

Sur les 20 suivants, la neige est plus soft, ce qui me ralentit un peu. Pas de panique, la neige est la même pour tout le monde de toutes façons. Le jour diminue et les couleurs sont magnifiques sur notre gauche, où les montagnes se dessinent dans le ciel.

Audio 7 : 42ème kilomètre/état de la neige

J’arrive au premier checkpoint après 45km, dans la nuit noire. Martine (la musher qui m’accueille depuis 2 hivers maintenant) et Géraldine, une amie, sont là pour m’y accueillir et m’encourager. Je suis invité à rentrer quelques minutes dans la cabine afin de réaliser le check médical, le même qui sera fait à tous les checkpoints. On me vérifie les doigts, les orteils, le nez et les oreilles, on me demande si je mange et boit bien ainsi que la couleur de mon urine. On me regarde remettre mes chaussures pour vérifier que je suis bien lucide et que je sais encore réaliser des tâches simples. Je donne également mes 2 thermos à remplir d’eau chaude. J’en avais volontairement laissé un vide pour commencer la course car je sais que je n’ai pas besoin de 4L pour faire 40km. Au total, j’ai avec moi 3L de capacité dans mes thermos, plus 2 fois 500ml dans mes flasques que je garde sous mon pull. Je retrouve Mathieu dehors, près du feu, pour manger mon premier repas lyophilisé de cette course. Des pâtes aux morilles, un délice. Dans celles-ci, je rajoute des morceaux de beurre salé, afin d’en augmenter encore les calories. Cela en a fait rire certains en me voyant sortir une plaquette de beurre de mon sac. Après 30min d’arrêt, je me remets en route, il est presque 23H.

Audio 8 : déroulement CP1

     Une dizaine de kilomètres après être reparti, on traverse « l’Alaska Highway », et on commence la « South Canol Road », route que l’on va remonter dans son intégralité, jusqu’à Ross River. Alors que j’arrive à cette intersection, je suis surpris d’y trouver Mathieu, faisant une pause. Nous repartons ensemble. Nous échangeons quelques mots puis c’est en silence que nous entamons une longue montée de 16km, chacun concentré sur son effort. Je suis devant pour la plupart du temps, et lui une vingtaine de mètres derrière moi. Je trouve cette situation complètement folle pour moi, alors simple amateur, partageant tous ces kilomètres avec un coureur professionnel de cette envergure. À côté de ça, c’est tout de même super agréable de pouvoir réaliser cette portion à deux. L’effort est le même, mais c’est toujours réconfortant de ne pas se savoir complètement seul dans cette première nuit. Cela donne l’occasion de prendre ses marques en douceur. On fait 2 ou 3 pauses durant la montée pour boire et manger. Bien que les températures soient toujours basses, le fait de monter les rend cependant plus confortables, puisque l’air chaud, plus léger que l’air froid, monte. On arrive au sommet du col vers 4H et on se tape dans la main comme pour célébrer le passage de cette première difficulté.

Audio 9 : déroulement de la montée/état général du moment

 
 
 

Après la montée, c’est maintenant une bonne dizaine de kilomètres de plat descendant qui nous attend. Nous reprenons cependant notre chemin pour quelques kilomètres seulement, avant de nous installer pour nous reposer un peu. Il est 5H passé, nous venons de parcourir 75km, et nous sommes allongés avec Mathieu sur le bord du chemin, dans une trace de motoneige. Je règle mon réveil pour 7H30 et je tente de me relaxer pour m’endormir, sans succès.

Audio 10 : débrief de la nuit/début de journée

Quelques kilomètres passent et on double Matt, qui avance plus lentement mais avec un rythme qui semble très régulier. Je m’arrête ensuite pour me préparer et manger un petit déjeuner et Matt me dépasse de nouveau. Après être reparti, je le redouble donc une nouvelle fois. La piste est assez vallonnée, les températures sont toujours basses, encore plus que la veille, avec des passages à -38°/-40° dans les creux.

Audio 11: mésaventure mouillée

Une dizaine de kilomètres avant le deuxième checkpoint, je rattrape Jessie et Joaquin, qui semblent quelques peu en difficulté face aux montées abruptes que nous devons gravir et la neige plus ou moins pactée par endroit.

Audio 12 : description du terrain/autres

     J’atteins le checkpoint 2, monté de toutes pièces avec 2 tentes près de « Sidney Lake », en début d’après-midi. Nous n’avons pas beaucoup de place à l’intérieur, mais suffisamment car nous n’y sommes pas encore nombreux. Je revois Mathieu à l’intérieur et nous échangeons sur ce début de « Canol Road ». On nous apprend qu’énormément d’athlètes ont été victimes de gelures et d’hypothermie lors de la première nuit et que déjà une vingtaine d’entre nous sont hors course. Nous sommes rapidement rejoints par Jessie, puis Joaquin. Juste assez de place pour nous 4 et un membre du staff médical qui nous regarde alors les mains et les pieds. Je profite malgré ce peu de confort de m’hydrater et de manger. Un ragoût de viande et de pommes de terre nous est préparé et donné par les volontaires présents. J’essaie de ne pas trop tarder car je veux profiter qu’il fait jour pour avancer le plus possible avec le soleil. Je repars donc en 1ère position, au même moment où Matt atteint le checkpoint.

Audio 13 : déroulement CP2/Point abandon/motoneiges dangereuses !!!

     Les kilomètres défilent gentiment, rien de spécial à dire sur ce début de section, mis à part que je suis surpris que Mathieu ne me rattrape pas. 5, 10, presque 15km et je le vois finalement arriver lorsque je prenais une pause rapide avant une descente. Il me dit alors qu’il a dû refaire un aller-retour pour aller récupérer sa frontale qu’il avait laissée charger au checkpoint. Il repart devant moi, je m’assieds sur ma luge et profite de cette descente pour donner un peu de répit à mes jambes. Quelques nuages parsemés dans le ciel, des températures qui remontent assez vite, aux alentours de -25°/-20° dès lors que le soleil est présent. Le parcours est très vallonné avec des descentes qui permettent de les faire assis sur la pulka, et des montées qui se font ressentir comme de véritables murs, où l’on ne tire plus la pulka mais où on la porte, tant la pente est raide. Je me rends compte que l’effort demandé pour progresser lors de cette course n’est plus seulement un effort d’endurance, mais également un effort de force pure. Je suis alors bien content d’avoir intégré des séances de musculation au début de ma préparation.

     Plus tard, je rattrape à mon tour Mathieu et nous continuons notre chemin ensemble. Je réalise de plus en plus l’aventure que je suis en train de vivre : moi, simple amateur venu se frotter au terrible Yukon Arctic Ultra, partageant un bon nombre de kilomètres avec Mathieu Blanchard, star de l’ultra-trail. Je trouve la situation complètement folle. La nuit tombe, il nous reste une bonne vingtaine de kilomètres à parcourir avant le prochain checkpoint. Un long plat montant de presque 10km se dresse devant nous. On l’attaque tranquillement, le but n’est pas de se fatiguer pour rien maintenant. Avant le sommet de la bosse, alors que j’accuse un peu le coup niveau fatigue et énergie, Mathieu part devant alors que je prends quelques minutes de pause pour me refaire une petite santé. Je reprends des forces, puis après un plat descendant, c’est une vraie descente de presque 2km que je négocie brillamment, assis sur ma luge. Il faut profiter de ce genre de moment, qui permet non seulement de se reposer les jambes mais aussi l’esprit. Cela permet de casser la monotonie de la marche, de penser à autre chose tout à faisant quelque chose de fun. Suite à ça, j’arrive près de « Quiet Lake » et il reste 8km de petites montées/descentes en longeant le lac. Ces quelques kilomètres paraissent in-ter-mi-na-bles.

Audio 14 : coup dur/introspection personnelle

J’arrive enfin à une intersection où 2 tentes sont installées mais sans signe de vie. Je devine de la lumière dans l’une d’elle et je lance un « Hello ? » de l’extérieur. Une femme sort de la tente et me dit alors qu’il faut continuer encore 1km pour trouver le checkpoint. J’avoue que cela grignote un petit peu mon moral à ce moment-là, mais je me reprends en me disant que c’est seulement 1km (plus ou moins), dans 10min j’y suis. Finalement, il aura seulement suffi de 600m pour apercevoir la cabine du « Campground » et une grande tente montée à côté de celle-ci.
     J’y retrouve Mathieu à l’intérieur, près du poêle. Comme à chaque checkpoint, j’aimerais ne pas y rester trop longtemps, je demande donc à pouvoir récupérer mon « drop-bag » pour retrouver mes affaires et avoir mon repas chaud directement. Un des volontaires me sert une belle part de lasagnes tandis qu’une autre revient me voir pour me dire qu’elle ne trouve pas mon « drop-bag »… Je retourne donc dehors, et cherche mon sac parmi les autres qui sont alignés le long de la tente. Après quelques minutes, je me fais une raison, mon sac a été oublié à Whitehorse. Je le dis une première fois ici, c’est une des raisons pour lesquelles le prix d’inscription est BEAUCOUP trop élevé par rapport à la qualité de la prestation que l’on reçoit pendant la course.

Audio 15 : 150ème km/live du checkpoint (augmentez le volume)

Tant pis, je retourne à l’intérieur, j’enlève mes chaussures et mes chaussettes pour laisser respirer un peu mes pieds et manger mes lasagnes. Pendant ce temps, je fais le point sur ce qu’il me reste comme nourriture et je calcule comment faire pour parcourir les 135km restant avant d’avoir de nouveau accès à un « drop-bag ». Il me reste quelques barres protéinées, pâtes de fruits et gel ainsi que mes repas lyophilisés de secours, censés pouvoir me faire tenir 48H en cas d’urgence. C’est bien là le problème, c’est seulement pour survivre 48H, et non pas continuer d’avancer en même temps. Enfin bon, il n’y a pas réellement le choix de toutes façons. Après 2 petites heures au chaud, et une fatigue déjà bien installée, je pensais à continuer une dizaine de kilomètres avant de sortir mon duvet. J’échange quelques mots avec Mathieu qui me dit : « je ne fais pas un kilomètre de plus ». Je réfléchis et me dis que vu mon état de fatigue déjà avancé, il serait peut-être préférable de dormir ici, bien que nous sommes obligés de dormir dehors, la tente du checkpoint étant trop petite pour pouvoir s’y installer. Une centaine de mètres plus loin, de la paille qui a servi aux chiens de la Yukon Quest est éparpillée sur le sol, et on en profite pour s’y installer avec Mathieu. Je fais attention à choisir un espace sans croquettes ni crottes, déjà que les douches sont rares, ce serait dommage de sentir encore plus mauvais pour le reste de la course, encore longue.

Audio 16 : point physique

     Avec près de deux million de lacs recensés au Canada, pas étonnant que chaque checkpoint se trouve près de l’un d’eux, notamment dans ces territoires reculés.

Audio 17 : débrief de la nuit/point physique/difficulté du terrain/ »drop-bag » manquant/point abandon

     Après une courte première nuit avec peu de sommeil, je profite de celle-ci pour dormir plus longtemps en espérant récupérer le plus possible. Mon genou gauche était un peu douloureux en arrivant au checkpoint et m’a un peu empêché de dormir en début de nuit. Malgré cela, ces 6H dans mon duvet m’ont fait du bien et après avoir rangé mon bivouac, je me mets en route alors que Mathieu se réveille. 70km environ à parcourir jusqu’au prochain checkpoint. Je parcours les 600m de la veille jusqu’aux 2 tentes plantées à l’intersection et je rattrape la piste principale. 4km de montée et 200D+ pour attaquer cette journée et permettre au corps de se réchauffer rapidement. Au sommet de celle-ci, je prends le temps de faire mon petit déjeuner et, assis sur ma pulka, j’entends au loin le bruit de celle de Mathieu qui glisse sur la neige. Il arrive à mon niveau et on discute rapidement sur la nuit que l’on vient de passer, finalement pas si mal pour nous deux. Il repart, et je fais de même quelques minutes plus tard. Après la montée, c’est 4km également de descente et 250D-, qui permettent de s’amuser un peu en glissant assis sur la pulka. Cela aide aussi à faire de la distance tout en se reposant les jambes.

     À partir de là, on longe la « Rose River », bien que complètement gelée et recouverte de neige, il est difficile de la distinguer par endroit dans la nuit encore noire. Le soleil se lève doucement, me faisant profiter comme chaque matin d’un joli spectacle. Cela redonne de l’énergie, aide le corps à se réveiller complètement pour repasser en mode journée. Peu après ça, je rattrape Mathieu qui faisait une pause à son tour. Nous parcourons quelques kilomètres ensemble avant qu’il ne me distance, lui qui va plus vite que moi. Le temps est magnifique avec un grand soleil qui permet même aux températures de remonter aux alentours des -20°, la température idéale pour ce genre d’effort selon moi. Le terrain est devenu moins vallonné, physiquement je vais bien, j’avance à une bonne allure, je suis heureux d’être là.

Audio 18 : 178ème kilomètre/sensation du moment

     En début d’après-midi, je croise 2 motoneiges de l’organisation, venant à la rencontre des coureurs. L’un d’eux me montre sur son compteur le nombre exact de kilomètres avant « Lapie Lake » : 29,7km. Mon estimation était de 30km à ce moment-là, c’est parfait, plus que 7H de marche. À partir de là, courir devient de plus en plus compliqué. Il m’est encore possible de relancer dans certaines descentes, mais l’effort à déployer pour cela comparé à ma vitesse n’est pas vraiment rentable. Je ne vais finalement pas beaucoup plus vite en courant qu’en marchant. Je trouve mon rythme en adaptant une démarche de marche rapide, couplée à mes poussées de bâtons qui varient selon la pente, qui me permet d’avancer à une allure comprise entre 12 et 14min par kilomètre.

     Ces mêmes motoneiges me doublent quelque temps plus tard, après avoir fait demi-tour au niveau du coureur derrière moi. J’essaie alors de calculer à quelle distance il pourrait se trouver, par rapport à leur vitesse et la distance que j’ai parcourue entre temps. Autant dire une tâche pas facile avec l’état de fatigue actuel et l’effort à fournir pour continuer d’avancer, je ne me souviens même plus si j’y suis parvenu ou non. Le point important ici étant plutôt de s’occuper l’esprit, plutôt que de vraiment trouver la réponse en elle-même.

Audio 19 : 202ème km, record/banalités

     Les kilomètres défilent, la piste traverse plusieurs fois la rivière sur des ponts numérotés de 1 à 5, et le jour finit par s’assombrir pour laisser place à la nuit une nouvelle fois. Je m’attendais depuis cet après-midi à croiser les mushers de la Yukon Quest, qui effectuent eux un aller-retour, et notamment mon ami Connor McMahon. Et c’est sur les coups de 22H, alors que je prenais une pause, que j’ai aperçu la frontale du premier, ou plutôt de la première musher. Je m’écarte de la piste pour la laisser passer et lui fais un petit signe de la main. Je me remets en route, et quelques minutes seulement après je croise la deuxième musher, à la poursuite de la première. C’est tout à fait le genre de chose qui casse la monotonie de ces longues journées et nuits de marche, même que quelques instants, mais qui fait du bien au moral. Comme je l’avais dit lors de mon audio disponible dans l’article consacré à ma préparation, il faut savoir s’émerveiller des moindres petits détails qui sortent de l’ordinaire pour stimuler son cerveau et garder toute sa lucidité.

     Au sommet d’une bosse, à une quinzaine de kilomètres du checkpoint, je vois une motoneige sur le bord de la piste, sans personne autour. Je pense alors à un des photographes peut-être venu ici pour les aurores boréales (absentes à ce moment-là) ou prendre en photos les coureurs et qui se serait installé un peu plus loin de la piste. La végétation autour est devenu moins dense, je cherche ce qui pourrait ressembler à des traces de pas d’humains sur les bords du chemin, mais sans succès. Impossible de savoir ce que cette motoneige fait là, au milieu de nulle part.  Je croise un 3ème mucher qui, cette fois-ci, s’arrête à mon niveau. On discute 3min, il a un accent assez prononcé et j’avoue que je ne comprends pas vraiment ce qu’il dit à ce moment-là. On se souhaite néanmoins bon courage pour la suite.

Audio 20 : Musher

     À 23H, j’aperçois enfin une banderole indiquant le checkpoint. On sort de la piste pour prendre un chemin descendant vers « Lapie Lake » où l’on peut alors se mettre au chaud dans une cabine. Mathieu y est arrivé 2H avant et est assis à l’intérieur près du poêle avec son équipe, Colin et Mathis, venus faire des images pour leur film. C’est toujours agréable de revoir des personnes connues, cela réconforte. Ils me disent alors que la fameuse motoneige abandonnée est la leur, qu’elle est en panne et qu’ils iront la chercher plus tard.

     Comme d’habitude, le check médical est effectué et je peux manger un repas chaud. En parlant de nourriture, je demande à Mathis s’il n’aurait pas quelques barres à me donner. Étant donné que je n’ai pas eu mon « drop-bag » au checkpoint précédent, mes réserves de barres sont à zéro. J’explique alors la situation à la responsable du checkpoint et lui demande si je peux me faire assister sur ce point-là, ce qu’elle accepte. Mathis me fournit donc 4 snickers et 1 paquet de bœuf séché, ça ne sera pas de trop. Encore merci Mathis !!! Je profite un moment de la chaleur, mais je repars assez vite, peu après Mathieu, un peu avant 00H30.

Audio 21 : live du checkpoint (anglais)

Audio 22 : débrief checkpoint/prévision du lendemain/point abandon

     Je repars dans cette nuit froide, seul. La lune, qui grossit un peu plus chaque jour, nous éclaire de plus en plus, ce qui permet de pouvoir deviner les montagnes qui nous entourent. Je parcours 8km sur les 75 qui me séparent encore de Ross River, le checkpoint suivant, avant de m’installer pour dormir un peu. Après 3H de sommeil, et me sentant encore bien fatigué, je m’autorise à prolonger un peu ma nuit et règle le réveil encore 1H30 plus tard. Je repars vers 7H. Cette section est comme la précédente, moins vallonnée, même si quelques belles côtes nous rappellent parfois que cette course n’est pas faite pour être facile.

Audio 23 : débrief de la nuit/mésaventure mouillée (bis)/ressenti du froid

     La nuit arrive à son terme, le soleil se lève et le ciel est une nouvelle fois complètement dégagé. Il fait froid, mais au moins il fait beau. Les deux vont très souvent ensemble. Je pense que c’est durant cette journée que les températures vont le plus remonter avec une pointe à -16° en début d’après-midi. Plus besoin de ma doudoune à ce moment-là, mais qui ne durera que 1 ou 2 heures au final. Il est encore tôt dans la journée et j’espère atteindre le checkpoint avant la fin de journée pour y passer une bonne nuit et en repartir le plus frais possible. La seconde moitié de cette section redevient plus vallonnée. J’alterne entre les montées raides où je dois continuer de faire attention à ne pas transpirer et les descentes où je peux utiliser ma pulka comme luge. À la fin de l’une de ces descentes, j’aperçois un de ces panneaux verts qui annoncent la distance avant la prochaine ville. Je pense à ce moment-là, être encore à environ 35km de Ross River et me demande si je regarde le panneau ou non, ce qui pourrait affecter mon moral selon la distance affichée. Je me décide tout de même à regarder et là, surprise et soulagement, seulement 26km sont annoncés. Je suis remotivé à bloc, dans 6H, je dors au chaud. Quelques kilomètres plus tard, je recroise à nouveaux les photographes de la course qui s’arrêtent cette fois pour me photographier et faire des vidéos grâce à leur drone. Lorsqu’ils me quittent, la route est bordée sur la droite par un petit précipice, ce qui me donne une belle vue sur la « Lapie River ». Je m’assieds sur ma pulka, face au soleil, et je me délecte d’un de mes repas lyophilisés. Je repars en forme, mais je sens la fatigue musculaire qui commence à s’accumuler. Les montées paraissent de plus en plus raides et les descentes plus assez pentues pour se laisser glisser.

Audio 24 : problème de poche/rencontre avec les photographes/panneau Ross River/prévision du checkpoint/point physique

     Il reste 15 petits kilomètres. Un pont traverse la « Lapie River » et une belle côte en plein soleil me force à enlever ma doudoune. Il fait froid mais le soleil cogne, il faut rester vigilant sur le fait de ne pas transpirer et ne pas commettre d’erreur, même si le checkpoint de la mi-course est tout proche. Quelques panneaux de signalisation font leur apparition, m’indiquant que le retour à la civilisation n’est pas loin. Et finalement, je vois la « Highway »,  signal que s’en est fini de la « South Canol Road ». Je ressens une certaine émotion au moment de la quitter, dire que j’ai pu la parcourir entièrement, à pied, après en avoir entendu parler si souvent. Ce n’est pas tout, il reste encore une bosse, une dernière, avant d’atteindre Ross River, et pas des moindres. 150D+ sur 2km, qui pourraient se faire aisément en temps normal, mais pas en tractant une pulka. C’est littéralement une épreuve de force, tant la pente est raide par moment. J’en atteins le sommet alors que le jour commence doucement à décliner. Je ne dois pas traîner si je veux arriver avant la nuit. Ça tombe bien, la descente qui s’en suit, sur une route bien dégagée s’annonce comme rapide, une fois installé sur ma luge. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce fût le cas. Près de 2km, durant lesquels j’atteins une vitesse maximale de 38km/h, indiqués sur ma montre. Une belle montée d’adrénaline couplée à la joie de voir enfin les premiers bâtiments qui composent Ross River.

Audio 25 : fin de la South Canol Road/montée raide et poids des pulka/arrivé à Ross River

     Je suis sur un chemin qui longe la route menant à la petite ville. Lorsque j’y arrive, j’y aperçois à la première intersection, la voiture de Martine et elle qui vient à ma rencontre. Que c’est bon de la revoir après plus 3 jours dehors ! On échange quelques mots et elle m’indique le bâtiment où se trouve le checkpoint. Mon téléphone n’ayant plus de batterie et aucun marqueur pour se repérer en ville, je suis bien content qu’elle ait pu être là pour me montrer la route. Deuxième raison pour laquelle je trouve le prix bien trop élevé, une signalisation qui laisse à désirer, alors que sur 625km, il doit y en avoir seulement 10 qui méritent d’être bien balisés.

     À 19H pétante, j’arrive au Checkpoint, dans le « Community Center » de la communauté de Ross River. Nous sommes au 290ème kilomètre, presque à la mi-course, et c’est le seul et unique endroit où nous pouvons rentrer dans un bâtiment chauffé, et y passer la nuit. J’y retrouve Mathieu, arrivé à midi, et son équipe. Je peux enfin souffler, avoir un vrai moment de répit, penser à autre chose qu’à marcher/manger/dormir. On me donne mon « drop-bag » (que l’on ne m’a pas oublié, contrairement à Mathieu cette fois-ci, qui a attendu le sien près de 8H…) et je peux me changer, retirer mes bandes élastiques de soutien sur mes tendons d’Achille ainsi que mes patch sur le visage et faire un brin de toilette.

     Le Dr Mathias Steinach et Marlène sont là, pour réaliser les mêmes tests et prélèvements qu’avant la course. Ils testent ma vitamine C, les antioxydants, la raideur musculaire et m’installent les électrodes nécessaires pour étudier mon sommeil durant les quelques heures que je vais passer ici. Après avoir avalé mon assiette de pâtes à la bolognaise, je file me coucher, et je profite de l’endroit confortable (à l’intérieur, au chaud, sur des matelas de gym) pour faire une vraie nuit. Je me couche à 22H, avec 6H de sommeil de prévues. Cependant, comme je m’y attendais, la nuit fût quelque peu mouvementée. Des bouffées de chaleur, un nez bouché et un corps ne sachant pas s’il peut se relaxer ou s’il va de nouveau être stressé, m’empêchent de trouver le sommeil. Cette nuit est donc plus ou moins réparatrice.

     Je me lève vers 4H, fatigué, mais avec tout de même l’envie de retourner dehors, continuer l’aventure, sur cette deuxième partie de course qui m’attend. Les températures sont censées remonter dans les jours à venir, la motivation est toujours là. À mon lever, je réalise de nouveau les tests physiologiques avec prélèvements de sang, de salive, de cheveux ainsi qu’une pesée en plus. J’ai déjà perdu 4kg, heureusement que je les avais pris durant ma préparation. Je déjeune puis je me rhabille, je rassemble mes affaires et je refais mon taping aux tendons d’Achille. À ce propos, je renverse malheureusement mon chocolat chaud sur certaines bandes, ce qui les rend inutilisables. J’improvise donc et j’en remplace 2 par du ruban adhésif, simplement nécessaire pour maintenir la bande principale. Je ne sais pas si cela va fonctionner, mais c’est le mieux que j’ai trouvé sur le moment.

Audio 26 : débrief de la nuit (augmentez le volume)

Il est presque 7H, et au moment de partir, je jette un coup d’œil sur le tableau qui récapitule les temps d’arrivée et de départ du checkpoint de chaque coureur. Mathieu est reparti à 4H et à ma grande surprise, Matt Weighman est arrivé ET reparti pendant que je dormais, profitant seulement 3H de ce confortable endroit. Il en est même reparti 1H avant Mathieu. Je me dis à ce moment que son expérience est en train de jouer en sa faveur, lui qui sait comment appréhender ce genre de distance. Comme je le disais, à 7H il est temps de se remettre en route pour aller effectuer un aller-retour de 260km sur la « North Canol Road ». Un dernier au revoir aux volontaires présents, au Dr Steinach et Marlène ainsi qu’à Martine qui a également passé la nuit ici.

     J’installe mes sacs sur ma pulka et c’est parti. Je traverse Ross River, qui semble très, très calme. Martine, qui s’est avancée en voiture, m’attend au niveau de la « Pelly River », à l’endroit où je vais traverser la rivière grâce à un pont de glace et replonger dans la nuit noire. C’est là que l’on se sépare à nouveau après ses derniers encouragements, et que je m’arrête pour cette première partie !!!

Audio 27 : discussion avec Martine

Crédit photo:

     Rising Story

     Mark Kelly

     Alexander Davydov

     Callum Jolliffe

Cette publication a un commentaire

  1. Marie

    Magnifique reportage et surtout ultra méga bravo à toi, c’est tellement fou ce que tu as accompli

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