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Résumé Yukon Arctic Ultra 2025 Partie 2

*L’écoute des audios n’est pas indispensable à la compréhension de l’article, ce sont des bonus.

Vous pouvez retrouver la partie 1 du résumé en cliquant ici.

     6 février, il est 7H05, et je m’apprête à m’élancer sur la « North Canol Road » durant ce 4ème jour de course, en 3ème position derrière Matt Weighman et Mathieu Blanchard. Je traverse la « Pelly River » et, de l’autre côté, une fois sur la rive, un choix s’offre à moi : partir à droite pour effectuer cet aller-retour de 260km ou partir directement à gauche pour emprunter la « Dena Cho Trail », au bout de laquelle se trouve Faro et la ligne d’arrivée, seulement 80km plus loin. Un choix auquel je ne pense finalement que très peu. Je suis venu pour faire 625km, alors je ferai 625km, et pas un de moins.

Audio 29: début Canol Road/point classement et abandon/prévision des prochains jours/point physique et moral

     Nous n’avons pas de « Drop-bag » pour les 260 prochains kilomètres et aucun repas ne nous sera servi aux 3 prochains checkpoints (difficulté logistique ou volonté de l’organisation de ne pas s’embêter avec ça ?!). J’ai dans ma pulka des vivres pour 4 jours, en espérant réaliser cet aller-retour en 3 seulement.
     On commence par longer la rivière sur environ 10km, les températures toujours bloquées sous les -30°, je me dis que ça remontera dans la journée. C’est à ce moment-là, alors que le ciel commence tout juste à s’éclaircir que l’équipe de Mathieu me double à motoneige. Ils ont un mot sympa pour moi en passant. Je continue ma route, la piste est plutôt vallonnée sur la première partie, puis moins sur la deuxième ; à la place, ce sont de longs plats montants, dont je ne me plains pas, puisqu’ils permettent de maintenir un rythme plutôt régulier, entrecoupés de descentes plus raides. Plusieurs fois le long du chemin, je remarque la présence de petites cabines, et même d’une caravane, qui pourraient faire office d’abris en cas de nécessité.

Audio 30: moitié de la course/point physique/réflexion sur la distance/point moral/esprit et stratégie de compétition/état du chemin

     Il est 18H15, et en bas d’une énième descente alors que je me laissais glisser sur ma pulka, j’aperçois une cabine avec de la fumée qui s’échappe de sa cheminée. Je traverse un petit pont en bois et en arrivant à son niveau, je me rends compte qu’il s’agit du checkpoint, encore en cours d’installation. Je pense alors à Matt et Mathieu, passés ici plusieurs heures avant moi, qui n’ont alors sûrement même pas eu de checkpoint encore installé. J’aurai cette confirmation par la suite lorsque 2 volontaires partiront en motoneige à leur poursuite pour leur apporter de l’eau chaude. Comment est-ce possible, alors que nous avons des trackers GPS en temps réel, de ne pas pouvoir estimer notre vitesse et nos temps de passage, et d’arriver à des checkpoints même pas encore installés ?! Nouvelle raison de ce prix d’inscription plus qu’exagéré.

     À l’intérieur de la cabine, je m’installe sur un siège près du poêle, et me prépare un repas lyophilisé. Je change vite de place pour aller de l’autre côté de la cabine car j’ai vite eu trop chaud. Pas de repas chaud fourni mais tout de même café et chocolat chauds sont proposés. Et ils font plaisir.
     Je ne reste pas longtemps, et repars alors que la nuit tombe. Je viens de parcourir 53km, et espère en avaler encore au moins 37, ce qui me permettra de dormir en haut d’une belle bosse, et donc avec une température potentiellement plus clémente.

Audio 31: débrief checkpoint/rencontre motoneige/débrief journée

     Le début de nuit se passe plutôt bien, j’ai l’impression pour la première fois que c’est plutôt plat, je peux donc avancer à bonne allure. Comme depuis de nombreux kilomètres, les traces des chaussures de Mathieu dans la neige rythment plus ou moins mes pas. Je sais maintenant à quoi ressemblent ses semelles, par cœur, au crampon près. C’est devenu comme un jeu de les suivre, de les chercher lorsqu’elles sont moins visibles, pour savoir la taille de ses foulées sur les différentes inclinaisons de pente. À ce stade là, j’occupe mon cerveau comme je peux.

     20km après être reparti, la fatigue s’empare de moi. Ma vision se brouille et devient floue, mes yeux se ferment peu à peu tout seuls. Je chante, je me parle, je me motive pour encore quelques kilomètres. Alors que je m’encourage une nouvelle fois, en criant, je lève les yeux pour regarder les quelques mètres qui se présentent devant et j’aperçois une grosse tâche rouge tout juste sur le bord du chemin. De loin, cela ressemble à une bâche tendue sur l’avant d’un pick-up, et bien que je sache que ce n’est pas ça, c’est de cette façon que mon cerveau l’interprète. Plus je me rapproche et plus l’image d’une tente apparaît. Sachant que Mathieu n’en utilise pas, je me doute qu’il s’agit de Matt. Je jette un œil au dossard accroché sur la pulka pour confirmer qui s’agit de lui, ainsi qu’à ses bâtons, sur lesquels nous devons accrocher un petit ruban si nous avons besoin d’aide ou si nous voulons être réveillé. Il n’y en a aucun sur les siens, je ne m’arrête donc pas et je continue ma route. Bien que cela m’ait reboosté, je ne m’arrête que 2km plus loin, pour dormir à mon tour. Je tasse un petit carré de neige sur le bord de la piste grâce à mes raquettes et installe rapidement mon bivouac. Alors que je suis couché depuis une quinzaine de minutes et tente de dormir, j’entends comme un bruit de chaîne de vélo. Et effectivement, en sortant la tête, j’aperçois le faisceau lumineux d’une lampe qui approche. Il s’agit de Harm Feringa, en « Fat bike », qui survole la course à une vitesse folle depuis le premier kilomètre, déjà sur le retour, et bien avancé. J’allume m’a frontale également, afin qu’il me voie et remarque que je suis réveillé.

Il s’arrête donc à mon niveau, et on échange quelques mots. Je le félicite d’abord pour la course incroyable qu’il est en train de faire et il me dit de continuer à m’accrocher, que Mathieu n’est pas loin. Je le préviens également que la tente de Matt est installée 2km plus loin. Il repart, et moi je retourne me coucher, réveil prévu dans 3 petites heures. Je dors plutôt bien cette nuit-là, mais après que mon réveil a sonné, je le prolonge quand même d’une heure.

     Je me remets en route à 7H, et j’observe les traces de pas au sol. Je reconnais bien sûr celles de Mathieu ainsi que la trace des pneus du vélo de Harm, mais à ma grande surprise, rien d’autre. Je m’attendais à voir une autre paire de chaussures, celle de Matt, mais non. Il avait 3 ou 4H d’avance sur moi au précédent checkpoint, plus mes 4H de sommeil, je me dis qu’il est en train de faire une sacrée bonne nuit et qu’il me rattrapera peut-être la prochaine fois que je dormirai. Je grimpe la bosse de 100D+ que j’avais prévue la veille, je me sens bien dans ce genre de pente, et la descente qui suit me permet de m’asseoir sur ma pulka.

Audio 32: débrief de la veille et de la nuit

Audio 33: référence pop-culture

     En toute fin de matinée, j’atteins « Dragon Lake », il reste 25km à partir de là avant le demi-tour. Je passe le lac et juste après, j’y découvre une belle cabine. Je calcule un peu les kilomètres et l’heure qu’il est, et je me dis que ce serait bien de pouvoir revenir au moins jusqu’ici pour y passer la nuit. Motivé par cette idée, je ne traîne pas. La piste est toujours bordée par la forêt de chaque côté mais les arbres sont beaucoup plus clairsemés qu’au début, et il y a fréquemment de belles clairières ou des lacs qui permettent de profiter de la vue sur les montagnes qui nous entourent.

Audio 34: 400ème kilomètre/estimation classement

     Depuis « Dragon Lake », la neige devient de moins en moins pactée. Je ne m’enfonce pas, et la couche du dessus, de plus en plus épaisse, se ramollit et me fait pas mal patiner. À 10/12km du checkpoint, je décide de m’équiper de mes raquettes. Elles ne sont pas réellement nécessaires, mais cela devient plus confortable de marcher avec. Au même moment je traverse un marais, et même si tout est gelé, les TRÈS nombreuses traces d’orignaux viennent briser cette glace et laissent les odeurs s’en échapper. Une odeur qui en temps normal pourrait paraître nauséabonde, mais je ne suis pas en temps normal. Peut-être difficile à croire, mais c’est comme si en passant le plus clair de ces derniers jours dehors, je n’avais senti aucune odeur, comme si mon odorat était éteint depuis le début de course. Et tout à coup, cette forte odeur, bien que mauvaise dans un premier temps, m’est devenue agréable. Mon nez, de nouveau stimulé, comme content d’avoir du travail, m’avait fait paraître cette odeur tout à fait supportable. Cet état de fatigue physique et mentale, change complètement nos sensations et notre perception de ce qui nous entoure.

Audio 35: c’est dur pour le moral

     Marcher avec les raquettes ne me dérange pas. Je me suis entraîné avec et c’est quelque chose de nouveau dans cette course, qui vient casser cette monotonie encore une fois. C’est la fin de journée, et la neige a commencé à tomber ; j’espère tout de même qu’il n’y en aura pas beaucoup.

     Ces derniers kilomètres paraissent vraiment de plus en plus longs. La neige molle et mes raquettes aux pieds n’aidant pas, je suis aussi de plus en plus lent. Je vois enfin « Sheldon Lake », le lac près duquel le checkpoint est censé se trouver. Je me dis néanmoins qu’il est encore vachement loin et j’espère qu’il n’est pas de l’autre côté du lac non plus. Mon moral en prend un petit coup à ce moment-là. Finalement, après une dernière ligne droite et une dernière côte, j’aperçois et j’atteins la banderole indiquant le checkpoint. Bien sûr il a encore fallu patienter 400m de plus pour y arriver. Il fait encore jour et je souffle un coup, je me dis que ça y est, l’aller est fait, chaque pas que je ferai à partir de maintenant ne fera que me rapprocher (géographiquement) de l’arrivée.

     Un des volontaires présents sur place me dit qu’il se préparait à venir à ma rencontre, car ils n’avaient plus de nouvelles de moi depuis presque 3H, les piles de mon tracker ayant rendu l’âme. Je commence donc par les changer, puis je prends mes sacs pour me rendre dans la cabine destinée aux coureurs. J’y retrouve comme d’habitude mon ami Mathieu, ainsi que Colin et Mathis à nouveau. Je mange un des repas lyophilisés alors que nous discutons tous ensemble. On rigole, l’ambiance est cool malgré la fatigue. Ils m’apprennent notamment l’abandon et l’évacuation de Matt en début de journée. Lorsque je l’ai doublé, il était en fait en hypothermie dans sa tente, attendant que l’on vienne le chercher. Dommage qu’il n’ait pas mis son ruban sur son bâton, je me serais évidemment arrêté. À ce moment-là, le 3ème coureur est alors à plus de 60km derrière moi, soit environ 15H. J’avoue m’avoir dit que ça commençait alors à être bon pour assurer la 2ème place, même à encore 210km de l’arrivée.

Audio 36: live du checkpoint

Audio 37: live du checkpoint/check médical (anglais)

     Dans la cabine se trouve un matelas, juste un, et Colin me dit que les volontaires nous autorisent à nous en servir pour nous reposer, puisque Harm l’a fait et Mathieu aussi. Même si j’avais prévu de ne pas rester trop longtemps, je ne vais pas dire non à un petit moment de confort. J’installe donc mon duvet dans la petite cabine chauffée et y dors 1H30. Pendant ce temps, Mathieu remballe ses affaires, et commence le retour, vers Ross River. Après ce temps de repos plus ou moins réparateur (comme tous mes temps de repos en fin de compte), je profite d’être au chaud pour faire le plein d’énergie et manger un second repas lyophilisé, sucré cette fois. Colin et Mathis sont en train d’aménager l’espace afin de réaliser une interview d’un des volontaires, membre des premières nations. 4 petites heures après être arrivé, il est 22H30, je raccroche ma ceinture et je repars en sens inverse.

     Mentalement, je suis bien. Je sais à quoi m’attendre pour les 130 prochains kilomètres, et pour moi qui aime faire et refaire toujours les mêmes sorties, quitte à tourner en rond, cet aller-retour ne me dérange absolument pas, bien au contraire. C’est comme avoir fait une reconnaissance, maintenant je sais exactement ce que je vais devoir affronter.

     Je garde mes raquettes aux pieds pour les 12 premiers kilomètres. Il y a énormément de traces d’orignal sur les bords de la piste, je reste extrêmement concentré et en alerte durant ce début de nuit, je n’ai absolument pas envie d’en rencontrer un. Bien que beaux et majestueux, ils peuvent attaquer s’ils sont surpris ou se sentent menacés. Ils utilisent alors leurs longues pattes pour envoyer des coups de sabots et vous piétiner une fois au sol. Avec leurs centaines de kilos, une jambe ou un bras cassé est vite arrivé. Je reste donc sur mes gardes, et continue d’avancer tranquillement, avec pour objectif en tête, la cabine de « Dragon Lake ». J’espère cependant qu’elle sera ouverte, je n’ai pas vérifié cela à l’aller.

     La nuit est claire, le ciel est dégagé, et alors que je retire mes raquettes un peu avant minuit, je commence, en levant les yeux, à distinguer des aurores boréales. D’abord timides, assez fines, elles vont ensuite gagner peu à peu en intensité. C’est un phénomène très éphémère. Elles peuvent apparaître et disparaître en quelques minutes à peine, il faut donc être assez vif si l’on veut pouvoir les capturer quand elles sont les plus belles. Durant plus d’une heure, je vais regarder dans tous les sens, il y en a partout dans le ciel. C’est complètement dingue. Partout, et d’une intensité rare.

     Depuis bientôt 3 ans au Canada, je n’en ai jamais vu d’aussi belles et intenses que celle-ci. C’est un spectacle merveilleux, fabuleux, complètement hors du temps. Elles vont et viennent, bougent, dansent, passant par moment du vert au violet. Plus aucune douleur, physique ou mentale, ne se fait ressentir à ce moment-là. Uniquement de la joie, de l’émerveillement, de la reconnaissance envers moi-même de m’avoir emmené jusque-là. Comme si j’étais encouragé et félicité par le ciel lui-même. Je continue d’avancer en observant ce ciel coloré.

Audio 38: débrief du checkpoint/aurores boréales/réflexion danger des micro-siestes/stimulation olfactive

     Les heures passent, et à 4H30 j’arrive à la cabine repérée la veille. Il n’y a aucune trace, j’enlève donc ma pulka et je marche en m’enfonçant dans la neige jusqu’à mi-cuisse. La porte de la cabine est grande ouverte, et même impossible à fermer car 40cm de neige la bloquent. Je retourne chercher ma pulka, la rentre dans la cabine et commence à m’installer. Bien qu’il fasse -36°, la possibilité d’avoir un matelas et d’être au sec donne l’impression d’un extrême confort. J’allume une bougie sur la table, cela réchauffe l’atmosphère, ça en devient presque romantique. Je me couche à 5H et règle mon réveil pour 9H. En ce moment, je qualifie 4H de sommeil comme une bonne nuit, qui, plus est, dans ces conditions.

Audio 39: description cabine de « Dragon Lake »

     À mon réveil, il fait déjà clair dehors. Je ne perds donc pas de temps, afin de profiter un maximum de la lumière du jour pour avancer. Je récupère la piste et les traces au sol m’indiquent qu’un cycliste est passé, je me demande alors s’il s’agit de Jessie ou de Joaquin. Le fait de parcourir ces kilomètres en sens inverse et de reconnaître les points particuliers comme les lacs, les ponts ou certains virages m’aide mentalement. Il y a quelque chose de réconfortant à se dire que l’on connaît déjà ces endroits.

Audio 40: débrief de la nuit/personnes croisées

     Cette journée fut également riche en rencontres. Je verrai, en premier, l’équipe de Mathieu qui me double afin d’aller le retrouver au prochain checkpoint. Puis, en fin de matinée, je croise Jessie qui s’arrête à mon niveau ; on discute quelques minutes, elle me dit que ce nouveau parcours est particulièrement dur, mais que de mon côté, comme je n’ai pas fait l’ancien, je ne peux pas vraiment comparer. On se quitte avant de trop se refroidir. Les températures qui devaient remonter ne le font pas, le thermomètre reste bloqué sous les -35°. Quelques minutes plus tard, c’est avec le belge Kasper Vanherpe que l’on se croise, le 3ème coureur. Quelques mots rapides sont échangés, mais sans plus. Une heure après, encore 2 autres motoneiges me doublent. Des volontaires cette fois, qui effectuent une rotation pour que certains puissent redescendre et que d’autres prennent leur place. Je les recroise donc, 1H plus tard, en sens inverse. En toute fin de journée, alors que la nuit fait son apparition et que je m’apprête à allumer ma frontale, je croise un autre belge, Pascal Bleys. De nouveau une rencontre assez rapide, et je repars pour les 10 petits kilomètres restant avant le checkpoint.

Audio 41 (début à 30sec.): théorie fonctionnement de la nutrition/point abandon/difficulté de la course/satisfaction de ma préparation

     Je me rends compte lors d’une pause qu’il me reste encore beaucoup de barres et de noix, plus que ce que j’en aurai besoin pour atteindre Ross River. Je me dis alors que c’est la fête, et je mange 2 barres protéinées et une pâte de fruit d’un coup. Je repars, et il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que je sente arriver en moi une énergie folle.  Le genre d’énergie qui nous donne l’impression de voler, sans forcer. Un état de grâce, où je n’ai plus de douleur aux genoux, plus de douleur musculaire et où ma confiance en moi atteint des sommets. Le kiff total. Je fais vite le lien entre cette énergie et le fait de m’être gavé de barres, et je passe une étape dans la compréhension de l’importance de la nutrition (l’explication de ma théorie à écouter dans l’audio 41). Bien sûr, comme tout, ça ne dure pas éternellement, et je reviens quelques kilomètres plus tard dans un état « normal ».

     J’arrive au checkpoint, l’avant-dernier déjà, avant 23H. 2ème fois que j’y passe, donc je le connais. On me sert un chocolat chaud pendant que je mange un premier repas lyophilisé. J’enlève mes chaussures pour le check médical et je laisse respirer un peu mes pieds avant d’enfiler de nouvelles chaussettes. On ne peut pas dormir à l’intérieur, mais je prends tout de même 20minutes assis sur ma chaise pour me relaxer autant que possible. Je mange un 2ème repas lyophilisé, sucré cette fois-ci, sans oublier de rajouter des morceaux de beurre à l’intérieur, comme je l’ai fait les autres fois d’avant. Manger n’a vraiment pas été un problème tout au long de la course, pas de maux de ventre, pas de nausées et je mange même de plus en plus. Je renfile mes chaussures, me rhabille, récupère ma pulka et repars. Checkpoint express en moins d’1H, quand Mathieu y était resté 4H.

     En repartant, seulement une dizaine de mètres après, j’aperçois une forme noire au milieu de la piste. Je continue de m’approcher, pensant d’abord à un équipement perdu par l’un des autres participants. En arrivant à son niveau, je tombe alors sur une perdrix, en parfait état, simplement inconsciente. Ne pouvant rien faire, et surtout ne sachant absolument pas quoi faire, je décide de la contourner et de poursuivre ma route. Il est minuit pile, 55km me séparent encore de Ross River. Je me sens bien, j’y pensais depuis déjà quelques heures, et je décide donc de poursuivre ma progression jusqu’au checkpoint pour m’y reposer, à l’intérieur, au chaud. Je ne le sais pas encore, mais je m’apprête de ce fait à me lancer dans la nuit la plus éprouvante, la plus froide, la plus intense de toute ma vie. Les températures, qui étaient censées remonter dans la deuxième partie de course, sont en fait descendues. Elles étaient déjà basses, et ont continué de diminuer.

     Quelques heures plus tard, la fatigue s’empare de moi. Pas une fatigue musculaire, puisque mes jambes continuent de me porter et même de bien avancer, mais une fatigue nerveuse. Celle qui donne une profonde envie de dormir. Il est alors temps de s’inspirer de mes années militaires et des techniques employées afin de dormir en marchant, littéralement. Je me mets en pilote automatique. J’ai la chance que le terrain soit assez droit avec un léger faux plat montant, cela aide. Tout en marchant donc, je ferme les yeux, et je compte mes pas dans la tête, uniquement sur le pied gauche. 1, 2, 3, 4… et à 5, j’ouvre les yeux le temps d’une demi-seconde, afin d’enregistrer les 10m devant moi. Il fait nuit donc le faisceau lumineux de ma frontale m’aide à directement focaliser là-dessus. Cela repose énormément sur l’instant, puisque le cerveau n’a plus aucune information venant des yeux à traiter. Croyez le ou non, mais j’arrive même en me concentrant un peu plus, à sentir et analyser la neige sous mes semelles, pour savoir si je dérive sur la droite ou la gauche, et je peux me recentrer directement, sans avoir à ouvrir les yeux. Je peux donc parcourir 10, 20 ou 30m, en dormant. Le corps humain est incroyable.

     Après 45mn/1H à faire le zombie, avec de plus en plus de mal à rouvrir les yeux, je m’énerve alors un coup et je me rebooste afin de retrouver mes esprits et toute ma lucidité. Je mange et je bois un peu pour m’occuper et me réveiller. La suite n’est pas plus facile, bien que le profil soit plutôt descendant, il ne l’est pas assez pour glisser sur ma pulka. C’est un petit peu frustrant. Vers 4H, après avoir dépassé l’endroit où les mushers de la YukonQuest ont fait demi-tour, j’arrive au niveau d’un élargissement avec de la paille laissée par l’un d’eux. Je saisis l’occasion et l’utilise également pour une micro-sieste.

     Ces micro-siestes, bien que ne dépassant pas 30 minutes, sont vraiment plus qu’appréciables. Elles me permettent de regagner de l’énergie pour quelques petites heures. 20minutes à peine après être reparti, j’aperçois au loin une lumière. Le faisceau lumineux d’une frontale qui vient transpercer l’obscurité, alors que je n’avais pas allumé la mienne. La lune éclairait suffisamment bien dans le ciel pour y voir, et je pouvais économiser mes batteries par la même occasion. La lumière me faisant face, j’ai très vite écarté la possibilité qu’il s’agisse de Mathieu. Cependant, je ne m’attendais absolument pas à croiser âme qui vive à ce moment-là. La joie m’a alors envahi à l’idée de voir quelqu’un. Au moment de se rencontrer, je tombe nez à nez avec un géant. Il s’agit de Philip Cowell, un anglais d’au moins 2 mètres, c’est du moins la vision que j’en ai à ce moment-là. On discute 3-4minutes au milieu du chemin, par -42°. Ses mots sont d’une extrême gentillesse, et il me serre dans ses bras au moment de se quitter, si fort qu’une de mes flasques se met à fuir sous mon pull. Tant pis, la chaleur apportée par la joie de l’avoir croisé en vaut largement la peine.

     Je peine toujours terriblement à garder les yeux ouverts. Les pensées positives afin de tenir dans cet enfer glacé sont vraiment difficiles à faire émerger dans mon cerveau et à les conserver. À cet instant, je n’ai jamais été aussi proche que d’être juste un animal, luttant pour avancer, afin de survivre. C’est vraiment la seule chose qui me permet encore d’avancer. Je mange peu depuis un moment, refusant de m’arrêter pour me faire un repas lyophilisé. Cela me demanderait de m’arrêter trop longtemps, ce que je ne veux pas dans les conditions de température que je suis en train de traverser. Je longe actuellement la « Ross River » et le profil de la piste, toujours vallonnée, offre des bulles d’air froid dans les creux du terrain. Je ne prends même plus la peine de regarder mon thermomètre, mais je pourrais parier gros qu’on soit sous les -45°/-46°. Sans plus aucun doute, la nuit la plus froide de toute ma vie.

     Alors que je me gave littéralement de toutes les barres et gels qu’il me reste, la faim se fait de plus en plus présente. J’ai toujours une bonne énergie, mais j’ai juste faim. Il est environ 7H30 et les premières lueurs du jour devraient apparaître d’ici 1H.  Je me dis alors que je vais attendre le jour pour enfin me faire un vrai repas. Il fera probablement toujours aussi froid, mais quitter la nuit, pour le moral, c’est quelque chose qui fait du bien. C’est alors qu’au milieu de l’obscurité, je sens une odeur de fumée. Dans un premier temps, cela me paraît complètement irréel, impossible, je me dis que c’est mon cerveau dû à la fatigue qui me joue des tours. Cependant, l’odeur reste, elle est bien présente. J’avais repéré à l’aller dans les environs 2 ou 3 cabines, alors c’est peut-être quelqu’un qui est dans l’une d’elle et a allumé la cheminée. Ma surprise est alors d’autant plus grande quand j’aperçois sur ma droite, à l’entrée de la forêt, les restes d’un feu de camp, avec quelques braises encore incandescentes. L’occasion est trop belle pour ne pas en profiter, alors je la saisis. Je décroche ma pulka, attrape un repas et un de mes thermos et m’approche du feu. Je rassemble les quelques braises, je réunis les bûches écartées sur les côtés et je jette une de mes pâtes d’allume-vite pour faire repartir l’ensemble. Me voilà alors avec un petit feu, proche duquel je peux me préparer un repas et le manger sans me geler les mains. J’ai vite compris qu’il s’agissait de Philip, passé ici il y a quelques petites heures en arrière, qui l’avait allumé en premier. Je lève alors les yeux au ciel et je le remercie du plus profond de mon cœur pour cela. Sans le savoir, il venait de m’offrir le plus grand moment de réconfort de toute la nuit, si ce n’est de toute la course. J’avais tellement hâte de le revoir après la course pour lui parler de ce moment, et le remercier en personne (ce que j’ai pu faire) !

     Malgré mon petit feu, le froid terrible est toujours là et se fait ressentir. Je repars enfin, avec le ventre plein, et après avoir mangé je suis maintenant en quête de sommeil. J’ai l’espoir de trouver une des cabines aperçues à l’aller pour m’y réfugier et pouvoir faire une micro-sieste avant que le jour ne se lève. Mon vœu est finalement exaucé. À 8H30, je peux me reposer sur un sommier en fer, simplement recouvert d’un tapis plié en deux, dans une cabine, par chance ouverte. À 9H, alors que la nuit s’achève, je sors, je récupère ma pulka et je me remets en route. Il me reste une quinzaine de kilomètres pour atteindre Ross River. Je sens que cette nuit blanche a un impact non négligeable sur mon corps, qu’elle va laisser des traces. Je sais déjà que je vais rester un certain temps au prochain checkpoint afin de me refaire une petite santé, en ayant la possibilité de dormir à l’intérieur, raison de ma nuit blanche.

Audio 42: débrief checkpoint/débrief de la nuit/rencontre avec Philip Cowell/feu de camp

     Ces derniers kilomètres sont longs, j’ai l’impression que je n’avance plus. Paradoxalement, mon moral est toujours bon, mais après 6 jours non-stop, je suis en quelque sorte lassé de ne faire rien d’autre que de marcher, marcher et encore marcher. Finalement, j’entends au loin un bruit de moteur. 2 motoneiges me rejoignent, il s’agit de l’équipe de photographes de la course, dont Mark Kelly et Alexander Davydov.

     Ce dernier, qui s’occupe de partager des photos de la course sur ses réseaux sociaux, m’apprend que j’ai gagné plein de nouveaux abonnés sur Instagram. Je rappelle que je n’ai aucun contact avec le monde extérieur depuis le départ. Pour rigoler, je lui demande en anglais si j’ai dépassé les 1000, sachant que j’en avais 700 au moment du départ. Il rit, et me dit que j’ai dépassé les 7000 !!! Je le regarde alors avec des yeux qui devaient sortir de leur orbite. Je n’y crois même pas sur l’instant. Je continue d’avancer, il reste quelques kilomètres à peine, et je les passe en me répétant « mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de tous ces abonnés ?! ». C’était non seulement inattendu, mais aussi inespéré.

     À 12H30, c’est un nouveau sentiment de victoire qui m’envahit. J’atteins enfin la « Pelly River », que je traverse de nouveau sur le pont de glace, dans le sens inverse cette fois. Après avoir parcouru 230km sur la « South Canol Road », je peux dire que j’ai survécu à 260km sur la « North Canol Road ». En partant de Ross River, j’estimais mon temps passé sur cette section à 4 jours, et j’en aurai finalement mis 3 et demi, les calculs étaient bons.

     Seulement 1km me sépare encore du dernier checkpoint, et au détour d’un virage, je vois Mathieu arrivant en face de moi, qui repart pour la dernière section. On avance face à face, jusqu’à se regarder dans les yeux, et finalement se prendre dans les bras. Nous savons tous les deux que nous venons de passer la nuit la plus éprouvante et intense de toutes. Quelques mots sont échangés sous les regards et les objectifs des quelques photographes présents, puis nous repartons chacun de notre côté. Lui vers l’arrivée, encore loin, moi vers le checkpoint, tout proche. Alexander Davydov m’accompagne à ce moment-là pour les derniers hectomètres. Physiquement je vais bien, émotionnellement, c’est tout d’un coup plus dur. Je réalise soudainement ce qu’il vient de se passer ; je prends un certain recul sur la dernière nuit, le froid glacial, la faim, la fatigue… d’où je reviens. Les larmes remplissent mes yeux à ce moment-là et je m’arrête quelques secondes pour évacuer ce trop plein d’émotions. Ça me fait du bien.

     Enfin, ENFIN je retrouve le club house de la patinoire, synonyme de checkpoint, de chaleur et de repos. La peau de mon visage me tire, abîmée par le soleil et le froid permanent. Je retrouve Martine, c’est plus qu’un plaisir, c’est un réel réconfort de la revoir. Il est environ 13H et je n’ai qu’une idée en tête, aller dormir, dans la perspective de repartir dans la soirée pour le dernier tronçon et atteindre l’arrivée demain dans la journée. Mathias et Marlène sont là également. Je mange mon assiette puis je prends 15mn pour réaliser les tests physiologiques. Cela permet de commencer à me relaxer avant de dormir. Ma nuit se passe plutôt bien, je dors, ou du moins je reste couché environ 6H.

     À mon réveil, je suis complètement désorienté. Mon rythme jour/nuit auquel je m’étais tenu jusqu’à présent n’existe plus, mon unique but maintenant est d’atteindre l’arrivée. Il est donc environ 21H, Marlène me prélève du sang une dernière fois pendant la course. Après ça je peux enfin aller prendre un petit déjeuner. Oui, oui, à cette heure-ci, je viens de vous dire que je n’avais plus aucune notion de temps. Sur le moment je ne m’en suis même pas rendu compte. Bien que je me sois reposé un certain temps, mon corps me fait toujours souffrir. Niveau mental, ce n’est pas beaucoup mieux, puisque je sais que je m’apprête à entamer la portion la plus compliquée techniquement. Le chemin qui suivait une route jusqu’à présent, va maintenant emprunter un chemin de randonnée, la « Dena Cho Trail ».

     Je m’attends à ce que les montées et descentes soient plus abruptes, les virages plus serrés et la piste en général plus étroite. Je vais vite le découvrir de toute façon ::. Je me prépare une dernière fois, je refais mon sac, je remercie les volontaires et toutes les personnes présentes au checkpoint qui se sont occupé de moi, je dis à bientôt à Martine, et je retourne une nouvelle fois dehors, dans le froid, la nuit, la solitude.

     Comme je m’y attendais, cette section de 80km, est plus éprouvante encore que toutes les autres traversées jusqu’à maintenant. Sur les premiers kilomètres, je peux encore apercevoir les lumières de Ross River en me retournant. Un petit réconfort, mais qui ne durera pas longtemps.

     Dès le début, on monte. Certaines côtes sont très abruptes, pas du tout adaptées pour y naviguer avec une pulka. Le poids ressenti est alors démultiplié, comme si je ne la tirais plus, mais qu’il fallait carrément la porter. J’ai l’impression dans ces moments-là qu’elle pèse 60kg. C’est éreintant. Robert, l’organisateur, m’avait prévenu que 4 cabines étaient présentes le long du chemin entre Ross River et Faro. Je n’avais pas vraiment pris le temps de savoir où elles se trouvaient exactement, mais j’atteins la première d’entre elles après une quinzaine de kilomètres. Je me sens encore bien, en forme et sans signe de fatigue donc je continue avec l’objectif d’atteindre la prochaine pour m’y reposer si nécessaire.

Audio 43: explosion de mon Instagram/ rencontre avec Mathieu la veille/débrief checkpoint/estimation heure d’arrivée

     Les montées et les descentes s’enchaînent. S’il y avait très peu de plat jusqu’à présent, il n’y en a plus du tout maintenant. Ça en devient infernal. La fatigue me rattrape finalement, je lutte pour conserver mes yeux ouverts. Je me bats pour continuer d’avancer, avec toujours l’idée en tête d’atteindre cette 2ème cabine pour y faire une micro-sieste. Finalement, la fatigue étant trop forte, j’étale mon tapis de sol à terre, et je me repose une vingtaine de minutes. Il est un peu avant 4H. Je me réveille, et je repars en sachant déjà qu’il me faudra encore me reposer bientôt, tant la fatigue accumulée des derniers jours est intense. C’est alors qu’à peine 1km après être reparti, j’arrive à cette tant attendue 2ème cabine. Je n’hésite pas, et même si je me suis déjà reposé il n’y a que 15 minutes en arrière, j’y entre et y dors de nouveau, pour 30 minutes cette fois. Je me dis que je le mérite bien.

     Je repars, ma progression est toujours aussi dure et difficile. Un chemin encore une fois, pas du tout fait pour y avancer avec une pulka, bien qu’elle ne pèse plus que 24kg sur cette fin de course. Les montées demandent beaucoup d’énergie et les descentes ne sont vraiment pas évidentes à négocier assis sur la pulka. C’est lors de l’une d’elles, sur une section étroite en fin de nuit, que je heurte un arbre, et que l’un de mes tubes reliant ma ceinture à ma pulka se brise en 2. Il reste 40km, et je ne peux pas avancer comme ça. Il fait -32° à ce moment-là, il faut que je réagisse, que je trouve une solution et rapidement. Par chance, dans mon incroyable préparation matérielle, j’ai avec moi un tube de rechange, justement si l’un venait à casser. Je prends alors ma pince multifonction pour desserrer une vis. Dû au froid, la colle que j’ai utilisée pour être sûr de ne pas perdre cette vis, avait non seulement séché, mais était maintenant complètement gelée, également. Résultat, la vis n’a pas bougé, et c’est ma pince qui s’est cassée, à son tour. Impossible alors de remplacer le tube. J’utilise donc du ruban adhésif pour solidifier le tube cassé. Cela fonctionnera 100m, avant de le voir se plier à nouveau. En réfléchissant, je pense alors qu’il me faudrait comme un tuteur, que je pourrais scotcher au tube cassé pour le maintenir droit. J’imagine trouver une branche bien droite pour cela. Finalement, la solution était simplement sous mes yeux : utiliser mon tube de rechange pour cela. Je commence à sérieusement me refroidir donc je ne traîne pas. Je le fixe au milieu, aux extrémités, et je ne lésine pas sur la quantité de ruban adhésif. Mieux vaut beaucoup trop que pas assez sur ce coup-là.

     Après cette péripétie qui m’aura immobilisé presque 30 minutes, je peux me remettre en route pour me réchauffer. En toute fin de nuit, peu avant 9H, j’arrive à La 3ème cabine. Le bon moment pour effectuer une dernière micro-sieste avant que le jour ne se lève complètement. J’ouvre la porte, je rentre, et quelle n’est pas ma surprise quand je m’aperçois qu’elle a été chauffée. Il n’y fait pas très chaud, mais peut-être 10° de plus que dehors, une différence suffisante pour m’en rendre compte. Je vérifie dans le poêle, et effectivement, une bûche noircie est encore présente. Une chose est alors certaine, Mathieu est passé par là, s’est arrêté et s’est réchauffé. Je ne prends pas, cette fois, le temps de le rallumer, je m’allonge sur l’un des bancs en bois et m’endors au plus vite pour une trentaine de minutes.

Audio 44: état physique/débrief de la nuit/musique qui aide/réparation pulka

     Une nouvelle fois je me réveille, encore fatigué, ce n’est même plus vraiment une surprise maintenant. Cependant, en ressortant de cette cabine, il fait assez clair pour ne plus avoir besoin de la frontale, et je sais que c’est ma dernière journée de course. Aujourd’hui, je vais atteindre la ligne d’arrivée. Je repars donc avec cette motivation en plus, ça fait du bien. J’ai même droit à un magnifique lever de soleil sur ma gauche, au-dessus de la « Pelly River ». Le moment est magique. J’avance à mon rythme, les kilomètres défilent. J’atteins la 4ème et dernière cabine peu après 11H, qui n’était finalement pas si loin de celle d’avant. Je n’y dors pas, mais j’en profite quand même pour me poser le temps de manger un repas lyophilisé.

     Je viens de dépasser les 600km. Cette phrase est totalement folle. Il me reste une vingtaine de kilomètres à parcourir, la dernière ligne droite. Le chemin continue pendant 10km sur le chemin de randonnée, avant de déboucher sur une route, que l’on ne quittera plus jusqu’à l’arrivée. Elle est complètement blanche, recouverte de neige. L’avancée se fait donc relativement facilement. Le plus dur maintenant, est de gérer la partie mentale. On se dit que maintenant que l’on a retrouvé la route, Faro ne doit vraiment plus être très loin. Pourtant il reste tout de même 12km, qui semble de plus en plus longs au fur et à mesure que l’on avance. Il reste également une dernière butte à gravir. Surprise au sommet, je tombe sur l’équipe de Mathieu : Colin et Mathis ainsi que Loury, venus à ma rencontre pour m’encourager. C’est inattendu, et donc d’autant plus réconfortant de les voir. Je leur demande comment va Mathieu, s’il a déjà pu récupérer depuis son arrivée ce matin, et ils m’apprennent qu’il n’est arrivé que depuis quelques heures seulement. Cela me surprend, puisque je m’attendais à ce qu’il arrive très tôt dans la matinée. Peu après, c’est au tour de l’équipe de photographes et de Martine de me rejoindre. Je suis super heureux de revoir du monde sur ces tout derniers kilomètres. Je suis reboosté à fond. Une légère pente permet de descendre sur la pulka, je m’y installe donc à genoux dessus, et je pousse sur mes bâtons à la manière d’un skieur de fond classique. L’exercice est amusant, réussir à conserver la bonne trajectoire, tout en utilisant le haut du corps au lieu des jambes. Je continue comme cela durant près de 2km, mais je dois continuer en marchant. Il reste 3km seulement.

     Physiquement, comme à chaque fin de course, l’énergie revient. Je me sens bien. En revanche, bien que je sois particulièrement excité à l’idée de vivre cette ligne d’arrivée, je réalise que mon aventure touche à sa fin. Je me force donc à profiter jusqu’au bout de chaque seconde, de chaque mètre parcouru. Je me rends compte qu’une fois la ligne d’arrivée franchie, alors tout sera fini, cette course sera derrière moi. Je veux donc me faire plaisir jusqu’au bout.

     J’arrive enfin aux portes de la communauté de Faro. Au bout de la route, un stop, qui fait bien comprendre que la fin est toute proche. L’arrivée se trouve sur une petite place, à moins d’un kilomètre. En me rapprochant, je commence à voir des gens au loin, en train de guetter mon arrivée. Certains me font des grands gestes pour m’indiquer vers où me diriger alors que je traverse un terrain de sport. J’arrive à leur niveau, certains commencent déjà à me féliciter avant de prendre un raccourci qui les mène vers cette fameuse place. Pour ma part, je dois encore effectuer le tour d’un bâtiment, et après un tout dernier virage, je vois l’arche d’arrivée se dresser devant moi.

     Une trentaine de personnes sont rassemblées ici. J’arrive sur cette petite place et tout le monde m’acclame, c’est incroyable. Je ne saurais à peine décrire ce que je ressens à ce moment-là, je suis quelque peu déboussolé. Je m’avance jusque sous l’arche, où je peux enfin décrocher ma pulka pour la dernière fois après 8 jours, 2 heures et 24 minutes de course, moins de 4H après Mathieu. En me retournant j’aperçois les quelques visages qui me sont familiers. D’abord Robert, qui vient en premier pour me remettre la tant convoitée médaille finisher. Puis Mathieu, avec qui j’ai partagé pas mal de kilomètres et de longues heures aux différents checkpoints. On se félicite et on échange quelques mots et ses paroles me font chaud au cœur, je ne les oublierai pas. Je m’empresse ensuite de retrouver Martine pour la remercier chaleureusement, avoir pu arriver jusqu’ici, c’est en grande partie grâce à elle également. Une dame avec un téléphone vient ensuite me voir pour me dire qu’elle est en « live » avec ma maman, je ne comprends pas beaucoup ce qu’elle me dit et je baragouine simplement quelques mots pour elle. Ce n’est que plus tard que j’apprendrai qu’elle était en fait en « LIVE », avec plusieurs dizaines/centaines de spectateurs.

     Une fois toute cette euphorie retombée, j’entre dans le centre communautaire de la ville, où l’organisation de la course s’est installée et où je peux aller me changer, manger, boire et me reposer. Paradoxalement, je ne suis pas du tout fatigué. Toute l’excitation de cette arrivée est encore ancrée en moi. Je dépose ma pulka près de celle de Mathieu en rentrant, puis on me dirige dans un gymnase pour y effectuer un dernier check médical. On m’apporte aussi un repas chaud, que je mange bien volontiers, après m’être changé. Bien que je n’aie pas vraiment transpiré durant les 8 derniers jours, je n’ai pas non plus pris de douche, et j’imagine donc que mon odeur ne doit pas non plus être des plus attirantes à cet instant.

     Pour terminer cette folle journée, nous nous retrouvons avec Martine, Mathieu, Loury, Colin et Mathis pour aller déguster un bon Burger dans un restaurant encore ouvert. Nous discutons bien évidement de la course, il y a tant de choses à dire, à raconter et à débriefer. La fatigue finit néanmoins par arriver, on part tous se coucher. Sans le savoir nous avions réservé ce soir-là dans la même auberge. Il faut dire qu’il n’y en a pas des dizaines non plus en ville.

     Je tiens à féliciter Harm, Jessie (unique femme à atteindre l’arrivée) et Joaquin, finishers en « fat bike », ainsi que Kasper, qui complète le podium des concurrents à pied et clos la liste des finishers par la même occasion. Je souhaite également un bon rétablissement à tous les athlètes, qui ont dû stopper leur aventure pour des raisons diverses et variées.

     C’est ainsi, et ici, que se termine cette course, cette aventure, ce récit.

     Évidemment, beaucoup de personnes à remercier, qui m’ont aidé et/ou permis, de près ou de loin à prendre le départ de cette aventure puis à en arriver au bout.
     En tout premier lieu, Martine, qui m’a accueilli une nouvelle fois chez elle cet hiver, qui m’a guidé et soutenu lors de cette préparation, et qui m’a partagé son savoir, ses histoires et anecdotes accumulées au fil de ses dizaines d’années ici au Yukon.
     Merci à Didier également, pour m’avoir transmis bon nombre d’informations sur le parcours ainsi que de précieux conseils sur la préparation physique, mentale et matérielle en général.
     Merci à ma famille et aux copains en France, pour votre suivi et tous vos messages d’encouragement avant et pendant la course.
     Merci aux copains sur place, Tommy, Nico, Manon, Coco, Flo, Marion, Louise, Géraldine… bien se préparer c’est aussi savoir quand décompresser et se faire plaisir, autour de quelques grillades ou d’un catane, et je peux grandement compter sur vous pour ça!!
     Merci Crispin pour les délicieux repas lyophilisés, avoir ce réconfort là dans les moments difficiles, ça garde le moral en place.
     Merci à vous tous, que je ne connais pas, ou peu, qui m’ont découvert lors de cet événement et qui ont pris le temps de m’envoyer un message d’encouragement et/ou de félicitations, ou simplement de regarder mon petit tracker avancer dans l’immensité yukonnaise.
     ENFIN, merci Mathieu (Blanchard), pour cette rencontre avant la course, puis pour tous ces kilomètres et ces moments partagés, tu as rendu mon aventure plus belle encore.

     Si je m’attendais à vivre une belle aventure, elle fut incroyable, extraordinaire. Je n’ai aucun regret dans la façon dont je l’ai préparée et dont je l’ai vécue, je ne changerais rien.
     Comme déjà annoncé dans différents médias, finir cette Yukon Arctic Ultra était aussi une étape, afin d’obtenir le droit de m’inscrire pour l’Iditarod Trail Invitationnal 350(miles), dernière étape avant la finalité de mon « Iditalaska Project »: l’Iditarod Trail Invitationnal 1000(miles), en 2027. Je vous donne donc rendez-vous l’hiver prochain pour de nouvelles aventures polaires, j’ai déjà hâte.
     En attendant, c’est maintenant une belle saison estivale qui se profile pour moi, avec des trails plus ou moins longs. Vous pouvez retrouver mon programme dans cet article, où j’annonce le déroulé de ma saison 2025.

Crédit photo:

     Rising Story

     Mark Kelly

     Alexander Davydov

     Callum Jolliffe

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